Lutte contre l’impunité : défis et priorités au Tchad, solution hybride au Sénégal
Hissène Habré, ancien président tchadien, est jugé en 2015 à Dakar par les Chambres africaines extraordinaires (CAE) au sein des tribunaux sénégalais, pour des crimes internationaux commis au Tchad. Comment cette solution hybride a t-elle été mise en place?
Les autorités sénégalaises et de l’Union africaine (UA) excluent un procès national au Tchad comme une option viable pour traduire Habré en justice. Le gouvernement tchadien ne demande pas son extradition, et s’il l’avait fait, la demande aurait pu être rejetée au motif que Habré ne bénéficierait pas d’un procès équitable au Tchad. Un procès national aurait également pu mettre en danger les victimes, les témoins et les acteurs judiciaires. Au cours des années de campagne qui précèdent la création des Chambres africaines extraordinaires (CAE), les groupes de victimes tchadiennes et les enquêteurs chargés de recueillir les preuves et les déclarations sont menacés et agressés.4 Habré a encore des partisans au Tchad, et l’élite politique et économique du pays comprend d’anciens fonctionnaires influents du régime du dictateur, dont beaucoup ont intérêt à garder cachés les détails du passé.
En l’absence d’une option nationale, les CAE sont une solution entièrement africaine : un ancien chef d’État africain responsable de crimes internationaux est traduit en justice devant un tribunal africain, composé principalement de magistrats africains, et soutenu par l’UA, dans un tribunal conçu conformément à la décision de la Cour de la CEDEAO.5
Les Chambres africaines extraordinaires ont pris la forme d’un tribunal internationalisé au sein du système judiciaire national sénégalais. Aux termes d’un accord entre le Sénégal et l’Union africaine, les CAE sont créées en tant qu’une cour hybride habilitée à appliquer le droit coutumier international afin de poursuivre les infractions commises pendant une période précédant l’intégration des crimes internationaux dans la législation sénégalaise. En vertu du principe de la compétence universelle, la Cour est habilitée à poursuivre les crimes commis en dehors de ses frontières, par et contre des non-nationaux. Habré rejette la compétence de la cour et, bien qu’il soit contraint d’y assister, il ne dit jamais un mot pendant la procédure. L’ancien président est représenté par des avocats sénégalais désignés par le tribunal après que son propre avocat ait refusé de comparaître devant le tribunal.
Les CAE avaient initialement l’intention de poursuivre d’autres hauts fonctionnaires du régime de d’Hissène Habré. En 2013, le procureur général demande que cinq autres hauts fonctionnaires soient inculpés pour leur rôle présumé dans des crimes internationaux, mais le Tchad refuse de transférer les accusés.6
En mars 2015, quelques mois avant le début du procès de Habré aux CAE, un tribunal tchadien condamne 20 hauts responsables de la sécurité du régime de Habré pour torture, meurtre et autres crimes connexes. Quatre autres sont acquittés. Le tribunal ordonne en outre le versement de 125 millions de dollars US à titre de réparation aux 7 000 victimes, dont la moitié sera financée par les actifs des personnes condamnées et l’autre moitié par l’État.