Mali

Le Mali connaît un conflit politique, intercommunautaire et cyclique qui remonte à la période coloniale. Parmi les épisodes notables, on peut citer deux rébellions armées de groupes Touaregs du nord en quête d’indépendance, de 1963 à 1964 et de 1990 à 1996. Ces conflits ont été caractérisés par des attaques des deux camps contre les civils. Dans les deux cas, les forces maliennes ont sévèrement réprimé les combattants et les civils, ce qui a renforcé le ressentiment de la population Touareg envers les dirigeants basés dans le sud du pays.1

Un accord de paix précaire est conclu en 1996, qui comprend des dispositions pour une gouvernance décentralisée, mais ne résout pas le sous-développement endémique de la région. S’ensuit une décennie et demie de combats de faible intensité, au cours de laquelle des réseaux de contrebande et de banditisme s’implantent dans la région, en concomitance avec une prolifération de groupes terroristes.2

En janvier 2012, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), un groupe armé de combattants Touaregs, forme une alliance avec Ansar Dine et d’autres groupes terroristes créés pour lancer un troisième mouvement d’indépendance. La coalition vainc rapidement les forces armées maliennes dans le nord et prend le contrôle de grandes parties de la région, y compris des centres de population à Tombouctou, Gao, Kidal et Ménaka. Les occupants établissent un régime basé sur des interprétations extrémistes de la charia.

En juillet 2012, ces groupes terroristes rompent avec le MNLA et l’expulsent. L’année d’occupation qui suit est caractérisée par de graves violations des droits de l’Homme, y compris des exécutions extrajudiciaires, des mutilations et la destruction du patrimoine culturel.2 Les violences sexuelles contre les femmes et les enfants sont systématiques et généralisées, et comprennent des actes d’esclavage sexuel, des mariages forcés, des viols collectifs et le recours au viol comme punition.3

En 2013, opérant sous mandat de l’ONU et en coalition avec d’autres forces internationales, l’armée française déclenche l’opération Serval pour aider le gouvernement malien à reprendre le nord. Des accords de paix sont conclus en 2013 et 2015. Leur mise en œuvre est toutefois bloquée par un conflit prolongé avec les groupes armés qui restent actifs dans la région du nord. Cette violence aggrave les conflits de longue date entre les communautés locales pour l’accès et la gestion des terres et des ressources naturelles. À partir de 2015, le conflit commence à se déplacer vers la région centrale, sous la forme de combats intercommunautaires entre des groupes d’autodéfense, dont les affiliations avec des groupes terroristes opérant dans la région ne sont pas claires. Cette nouvelle phase du conflit est caractérisée par des massacres de civils, avec des attaques en continu qui augmentent à la fois en intensité et en fréquence.

En 2012, le gouvernement du Mali renvoie la situation devant la Cour pénale internationale (CPI) qui ouvre une enquête l’année suivante. Depuis, deux Maliens sont visés par des mandats d’arrêt : Ahmad Al Faqi Al Mahdi et Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud. 

Plus récemment, les tensions diplomatiques avec les partenaires régionaux et internationaux continuent de s’aggraver suite aux coups d’État successifs et à l’annonce d’un nouveau report de la tenue d’élections démocratiques au Mali 5. Le dernier coup d’État en date de juin 2021, a vu le gouvernement du président intérimaire Bah Ndaw, en place depuis neuf mois, être renversé par le colonel Assimi Goita. Ce coup d’État, le troisième en dix ans, fait suite aux coups d’État précédents d’août 2020 et de mars 2012. En réponse aux troubles, l’Union africaine et la CEDEAO ont suspendu l’adhésion du Mali à leurs organisations régionales, en attendant le retour à un ordre constitutionnel dans le pays 6. L’arrivée de la société militaire privée – le groupe Wagner -, en soutien à la junte militaire, suscite de nouvelles inquiétudes et est condamnée par les partenaires internationaux du Mali 7.

Citations & Références

1: Baz Lecocq (2010) « Disputed Desert », Brill.

2: Robin-Edwar Poulton and Ibrahim ag Youssouf (1998) « A Peace of Timbuktu : Gouvernance démocratique, développement et rétablissement de la paix en Afrique », UNIDIR.

3: Human Rights Watch (2018) « Recueil de documents: le conflit armé au Mali et ses conséquences ».

4: Rapport des Nations unies (2019): « Violences sexuelles liées aux conflits. Rapport du Secrétaire général S/2019/280 ».

6: France 24 (02 juin 2021) “L’Union africaine suspend le Mali, la junte menacée de sanctions”
 
7: Center for Strategic and International Studies (2022) Tracking the Arrival of Russia’s Wagner Group in Mali” 

Commentaires & Rapports

Alioune Tine (15 janvier 2020) « Situation des droits de l’Homme au Mali – Rapport de l’Expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme au Mali », OHCHR

L’Expert indépendant se dit préoccupé par l’aggravation du conflit dans la région centrale, notant les attaques visant les civils et les humanitaires, et soulignant l’impact négatif de l’impunité généralisée sur la situation sécuritaire. Le rapport couvre la période d’avril à novembre 2019. Des rapports semestriels ont été publiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) à partir de 2013. Les rapports d’experts indépendants sont basés sur les informations fournies par les autorités gouvernementales, les acteurs de la société civile et les organes des Nations Unies, ainsi que sur les déclarations des victimes de violations des droits de l’Homme. 

Human Rights Watch (2018) « Recueil de documents: le conflit armé au Mali et ses conséquences »

Human Rights Watch a mené un vaste travail d’enquête et de documentation au Mali depuis 2012. Ce rapport est un recueil des principaux communiqués de presse et commentaires de l’organisation couvrant la période du conflit.

Servaas Feiertag (2020) « Legal Research in Mali (Update) », Hauser Global Law School Program

Le site web fournit un aperçu détaillé de la justice malienne en mettant l’accent sur le cadre constitutionnel et le statut des institutions garantes de l’État de droit. Le site internet est destiné à soutenir la recherche juridique sur le système judiciaire malien. 

Défis et priorités en matière de lutte contre l’impunité au niveau national au Mali

Le Mali a ouvert un grand nombre d’enquêtes concernant des crimes internationaux et d’autres violations graves des droits de l’Homme commis dans le contexte de la crise de 2012. Malheureusement, peu de ces enquêtes ont abouti à un procès et aucune condamnation pour crimes internationaux n’a été prononcée devant un tribunal national. Le défi posé par le manque de ressources matérielles et humaines dans le secteur judiciaire est aggravé par le risque sécuritaire que représentent les groupes armés encore actifs dans les régions du nord et du centre. Les efforts déployés pour mettre fin à l’impunité pourraient être encore plus compromis par la loi d’amnistie de 2019.

Le procès du général Amadou Sanogo et de 17 coaccusés s’ouvre en mai 2015, marquant le premier procès national au Mali pour des crimes graves liés à la crise de 2012-2013. En tant que chef du coup d’État de 2012 contre le président Touré, le général Sanogo et ses soldats sont accusés d’avoir enlevé et tué 21 Bérets rouges qui avaient tenté une opération de contrecoup d’État ratée. Ils sont accusés d’enlèvement, de meurtre et de complicité dans le meurtre des 21 parachutistes. Le procès est temporairement suspendu en 2016, et en 2020, Sanogo et ses co-accusés sont libérés en attendant la reprise du procès. 

Le pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme est actuellement le principal organe judiciaire du Mali ayant la compétence et la capacité de poursuivre les affaires liées aux crimes de guerre et autres violations graves des droits de l’Homme. La plupart des procédures ouvertes par ce pôle judiciaire ne concernent pas principalement des crimes commis contre des civils, les enquêtes se concentrant plutôt sur des crimes tels que : association de malfaiteurs, attaques contre la sécurité de l’État, trahison et terrorisme. Fin 2019, le pôle enquête activement sur plus de 200 affaires liées au terrorisme, bien que seuls dix procès aient été menés à terme.8

À partir de 2019, en réponse à une augmentation spectaculaire de la violence intercommunautaire dans la région centrale, le pôle ouvre des enquêtes sur six massacres commis dans le cadre de combats intercommunautaires. Des condamnations sont obtenues dans l’affaire relative aux attaques du Cercle de Bankass, mais sur les quarante-quatre personnes condamnées, seules deux sont reconnues coupables de meurtre. 

A partir de 2018, l’armée ouvre des enquêtes sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité maliennes. Au moins trois incidents font l’objet d’une enquête, à savoir les exécutions extrajudiciaires de 12 suspects près de Diourra en avril 2018, de 12 hommes à Boulikessi en mai 2018, et de 25 suspects près de Nantaka en juin 2018.9

Le pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme

Le pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme a pris ses fonctions en janvier 2015. La compétence du pôle comprend les infractions liées au terrorisme, au financement du terrorisme, au blanchiment d’argent, au trafic de stupéfiants, d’armes et de munitions, ainsi qu’à la traite des êtres humains et aux pratiques connexes lorsque ces crimes sont de nature transnationale (voir article 609-1 de la loi de 2013). Le pôle est composé d’un parquet, de cabinets d’instruction spécialisés, d’une brigade spécialisée d’investigation et de conseillers experts.

L’unité spécialisée, dont les administrateurs ont reçu une formation spécialisée, dispose de ressources considérablement plus importantes que les unités judiciaires ordinaires. Sa compétence géographique couvre l’ensemble du Mali, ce qui lui permet de se déplacer et d’enquêter dans tout le pays, y compris dans les régions du nord auxquelles les juges d’instruction des tribunaux « ordinaires » de Bamako ne peuvent accéder.

Le procureur du pôle spécialisé a le pouvoir de poursuivre les « infractions connexes » aux infractions dans les affaires dont il a la charge. Pendant ses quatre premières années de fonctionnement, les affaires relevant de sa compétence, liées au terrorisme ou à des crimes transnationaux, pouvaient être accompagnées d’autres violations graves des droits de l’Homme en tant qu’accusation « secondaire » à ces infractions principales. Cette disposition conditionne la poursuite des crimes internationaux, et autres graves violations des droits humains, à la poursuite de charges liées au terrorisme ou à la criminalité transnationale (FIDH 2017).

Une nouvelle stratégie judiciaire gouvernementale a depuis lors élargi la compétence du pôle spécialisé pour y inclure la torture, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. 

Citations & Références

8: Human Rights Watch (2019), « Mali Événements de 2018 ».

9: Ibid. 

Lutte contre l’impunité au niveau national

Poursuites des crimes internationaux: priorités et obstacles aux efforts nationaux au Mali

SUIVRE LA CHRONOLOGIE HORIZONTALE EN CLIQUANT SUR LES FLÈCHES
1960 - 2012
Cycles de violences

Le Mali a connu des cycles de violences et des régimes répressifs, qui remontent à la période précédant l'indépendance de 1960. Le pays est notamment marqué par deux rébellions de groupes Touaregs dans le nord, en 1963 et 1990, qui sont toutes les deux violemment réprimées par les forces maliennes. Bien qu'un accord de paix en 1996 a officiellement mis fin à la deuxième rébellion touarègue, la stabilité n'est jamais revenue dans la région du nord. Les groupes armés touaregs restent actifs, et forment une alliance avec des groupes terroristes de la région.

Janvier - avril 2012
Conflit dans le nord

Des combats éclatent entre les forces gouvernementales maliennes et des groupes armés, alliés à des groupes terroristes islamiques. En avril 2012, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), un groupe qui lutte pour un État touareg indépendant, s'empare d'une grande partie du nord du Mali.

Mars 2012 - avril 2012
Coup d'État de 2012

Après plusieurs défaites contre les groupes séparatistes, des soldats maliens dirigés par Amadou Sanogo, organisent un coup d'État contre le Président Amadou Toumani Touré le 22 mars 2012. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sert de médiateur entre les groupes. Suite à la démission de Touré le 8 avril 2012, Dioncounda Traoré assume la présidence avec pour mandat d'organiser de nouvelles élections. 

30 avril - 1er mai 2012
Des combats éclatent à Bamako

Les forces pro-junte au Mali prennent le contrôle de la principale base militaire anti-junte après deux jours de combats dans la capitale, Bamako. Les membres des Bérets rouges (unité de la garde présidentielle) sont enlevés par les forces fidèles à Sanogo.

14 mai 2012
La CEDEAO menace de réimposer des sanctions
Mai - décembre 2012
Le Président attaqué par des manifestants

Le Président par intérim, Dioncounda Traore, est conduit à l'hôpital pour blessure à la tête après avoir été attaqué par des manifestants pro-militaires le 14 mai 2012. Le Premier ministre Cheick Modibo Diarra démissionne après son arrestation par des soldats le 10 décembre 2012.

Avril 2012 - janvier 2013
Occupation de Tombouctou et d'autres villes du nord

Dans les mois qui suivent, le MNLA perd le contrôle de la plupart du territoire au profit de ses anciens alliés, les groupes islamiques Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Eddine et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). L'AQMI et Ansar Dine occupent Tombouctou et le MUJAO occupe Gao. Sous leur règne, des violations généralisées des droits de l'Homme sont commises, notamment des exécutions extrajudiciaires, des tortures, viols systématiques et mariages forcés, visant en particulier les enfants.

Janvier - mai 2013
Les forces françaises reprennent le nord

Les forces françaises et leurs alliés expulsent l'AQMI et Ansar Eddine de Tombouctou en janvier et reprennent le nord en mai au cours de l'opération Serval.

Mars 2013
Le Procureur ouvre une enquête contre Iyad Ag Ghali et 29 autres personnes

Le Procureur général du Mali ouvre une enquête pour les crimes commis pendant l'occupation du nord de 2012 à 2013, contre Iyad Ag Ghali, le chef du mouvement terroriste Ansar Dine, et 29 autres personnes. L'affaire concerne notamment l'ancien président du tribunal islamique de Tombouctou, Alfousseyni Ag alias « Houka Houka ».

25 avril 2013
Création de la MINUSMA par l'ONU

En avril, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) est mise en place pour soutenir la transition vers la paix.

  • Document : Création de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), Résolution 2100 du Conseil de sécurité
21 mai 2013
Création d’un pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme au Mali

Les autorités maliennes adoptent une loi modifiant le Code de procédure pénale et créant un pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme au sein du Tribunal de Grande Instance de la Commune IV du District de Bamako. La compétence du pôle, définie à l’article article 609-1 de la loi de 2013, comprend les infractions liées au terrorisme, au financement du terrorisme, au blanchiment d'argent, au trafic de stupéfiants, d'armes et de munitions, ainsi qu'à la traite des êtres humains et aux pratiques connexes lorsque ces crimes sont de nature transnationale.

  • Document : Loi de 2013 portant sur la création du pôle spécialisé
  • Document : Loi n° 08-025 du 23 juillet 2008 qui détermine et réprime les actes de terrorisme et leur financement
Août 2013
Ibrahim Boubacar Keïta élu Président

Les premières élections présidentielles ont lieu le 28 juillet 2013, suivies par un second tour le 11 août.

Août 2014
Libération de Ag Alfousseyni « Houka Houka », Ben Gouzzoi et d’autres membres

Des membres de haut rang de groupes armés sont libérés afin de faire avancer le processus de paix et d'obtenir la libération des otages français.

12 novembre 2014
La FIDH et l'AMDH portent plainte pour violences sexuelles

La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et l'Association malienne des droits de l'homme (AMDH) déposent une plainte pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre au nom de 80 femmes et jeunes filles victimes de viols et autres formes de violences sexuelles commis pendant l'occupation du nord du Mali en 2012 et 2013. Malgré la bonne volonté du juge d'instruction, l'enquête est bloquée en raison du manque de coopération des autorités et de l'insécurité dans le nord du pays.

Janvier 2015
Le pôle judiciaire spécialisé prend ses fonctions
Février - juin 2015
Le gouvernement et les groupes séparatistes signent un « Accord Pour la Paix et la Réconciliation au Mali Issu du Processus d'Alger»

Les mandats d’arrêt contre plusieurs hauts responsables de groupes armés de l’affaire Ministère public contre Iyad Ag Ghaly et 29 autres, sont levés en mai et juin 2015. Au moins 50 auteurs présumés de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre sont libérés. Malgré ces actions, le processus de paix établit un cadre juridique pour la paix et la justice, permettant notamment des procès pour crimes internationaux et la création d’une Commission vérité.

6 mars 2015
Les victimes de l'occupation de Tombouctou portent plainte

La FIDH dépose une plainte, au Mali,  au nom de 33 victimes de crimes internationaux commis pendant l'occupation de Tombouctou et de sa région par des groupes armés en 2012 et 2013. Cette plainte concerne 15 auteurs présumés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. La procédure est suspendue en raison du manque de volonté politique et judiciaire.

Avril - mai 2015
Le Général Amadou Sanogo et 17 coaccusés sont jugés pour l'enlèvement et le meurtre de 21 Bérets rouges

Le premier procès pour crimes internationaux s'ouvre au Mali. La Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bamako accuse le général Amadou Haya Sanogo et 17 autres personnes, du meurtre de 21 Bérets rouges lors d'une tentative de contrecoup d'État. La Chambre les renvoie devant la Cour d'assises pour enlèvement et meurtre. Le premier examen médical des corps retrouvés dans le charnier de Diago n’ayant pas été effectué conformément aux procédures prévues par la loi malienne, la Cour ordonne un nouvel examen médical. Le procès est retardé.  

2016
La Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR)

La Commission vérité du Mali entame un ambitieux mandat qui a pour objectif d'enquêter sur les crimes commis entre 1960 et 2015 (mandat étendu plus tard aux crimes commis jusqu’en 2019).

  • Document : Mandat de la CVJR
Août 2017
Un chef de police condamné pour terrorisme

Aliou Mahamar Touré, chef de la police islamique pendant l'occupation de Goa, est condamné pour actes terroristes constitutifs de crimes contre l’Etat. Il n'est pas accusé de crimes de guerre ni de torture, bien qu'il soit accusé de multiples actes de mutilation.

2017 - août 2019
Le pôle spécialisé enquête sur 162 affaires

Environ 120 procédures judiciaires antiterroristes sont lancées en 2017, mais presqu’aucune n’aboutit à un procès. Cela fait suite à une douzaine de condamnations prononcées par le tribunal pénal de Mopti en avril 2016 en l'absence des accusés. Les affaires les plus importantes sont toujours en cours d'instruction.

2018
Les enquêtes militaires

A partir de 2018, l'armée commence également à ouvrir des enquêtes sur les allégations d'exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité maliennes. Au moins trois incidents font l'objet d'enquêtes : l'assassinat extrajudiciaire de 12 suspects près de Diourra en avril, de 12 hommes à Boulikessi en mai et de 25 suspects près de Nantaka en juin.[1]

[1] Human Rights Watch (2019) « Mali Événements de 2018 »

24 juillet 2019
Adoption de la loi qui étend la compétence de pôle spécialisé aux crimes de guerre, génocide et crimes contre l'humanité
2019
Procès liés aux attaques intercommunautaires sur Koro, Bankass et Baniagara

Les suspects accusés d'avoir mené les attentats de 2019 à Koro, Bankass et Bandiagara sont jugés à la Cour d'assises de Mopti. Sur les 60 accusés, 44 sont condamnés, mais seuls deux d'entre eux sont reconnus coupables de meurtre.

Mai 2019
Le pôle spécialisé enquête sur le massacre intercommunautaire d'Ogossagou

L'enquête sur le massacre du 23 mars de 160 éleveurs peuls à Ogossagou, dont plus de la moitié étaient des enfants, conduit à dix arrestations.

Octobre 2019
Le pôle spécialisé enquête sur le massacre intercommunautaire de Sobane Da

Le procureur du pôle spécialisé ouvre une enquête sur le massacre d'au moins 95 membres de la communauté Dogon à Sobane Da en juin 2019. En octobre 2019, neuf suspects sont placés en détention préventive.

15 avril 2019
Enquête sur les attentats intercommunautaires Koulogon

La Haute Cour de Mopti ouvre une enquête sur le massacre de 37 personnes le 1er janvier à Koulogon. Douze individus sont soupçonnés d'être liés à ces massacres, et huit d’entre eux sont libérés par la suite.

Décembre 2019
Quatre hommes de la communauté Dogon condamnés pour des attaques intercommunautaires sur Bankass Cerle
2020
Nouvelle loi sur la protection des témoins

Afin de combler les lacunes en matière de protection des témoins et des victimes, deux projets de loi sur la protection des témoins sont préparés par des organisations de la société civile malienne et proposés aux autorités. L'un de ces projets de loi concerne en particulier les violences sexistes, y compris la protection des victimes de violences sexuelles. Un troisième projet de loi concernant la protection des « défenseurs des droits de l'homme » est initié par le Ministère de la Justice et présenté à l'Assemblée nationale fin 2020.

18 août 2020
Démission du Président Keita après un coup d'État

Suite à l'escalade des violences après les élections parlementaires de mars et avril 2020 et des mois de protestations, un groupe de soldats séquestre plusieurs fonctionnaires du gouvernement, dont le président Ibrahim Boubacar Keïta qui démissionne et dissout le gouvernement. 

25 septembre 2020
Bah Ndaw devient Président du Mali

Le Colonel Bah Ndaw, 70 ans, ancien Ministre de la défense sous Ibrahim Keita, assume la présidence jusqu'aux élections prévues 18 mois plus tard. Le Colonel Assimi Goïta, chef du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), qui a organisé le coup d'État du mois d'août, est nommé vice-président. 

15 mars 2021
Les charges contre le général Sanogo sont abandonnées

La cour d’assises de Bamako ordonne la fin du procès contre le général et ses co-accusés, qui étaient jugés pour l’assassinat de 21 militaires en 2012.

24 mai 2021
Bah Ndaw est renversé par Assimi Goïta

L'armée malienne, dirigée par le vice-président Assimi Goïta, arrête le président Bah Ndaw qui démissionne. Goïta devient président par intérim le 7 juin 2021. Il s'agit du troisième coup d'État du pays en dix ans.

Problèmes de capacité

Les atrocités commises au cours des dernières années de conflit sont concentrées dans les régions du nord et du centre du pays. La capacité administrative de ces régions s’est pratiquement effondrée après des décennies de violence cyclique et d’insécurité. Lors de la crise de 2012, une grande partie de l’infrastructure judiciaire de l’État, déjà limitée, a été détruite dans le nord du Mali. Les tribunaux, les postes de police, les centres de détention et les prisons doivent encore être réparés ou reconstruits. Les tribunaux régionaux manquent de juges, de procureurs et d’autres personnels clés, tandis que les enquêteurs locaux qui restent dans la région manquent souvent de ressources et de formation suffisantes pour rassembler, analyser et stocker les preuves en toute sécurité. Des centaines de détenus se retrouvent en détention préventive en raison de l’incapacité des tribunaux à traiter leurs affaires.10

Parallèlement à ces défis administratifs, une grande partie de la population ne se tourne pas vers l’État pour obtenir justice. Les Maliens considéreraient le système judiciaire comme l’une des institutions les plus corrompues du pays.11 Le faible niveau d’alphabétisation et le taux élevé de pauvreté empêchent de nombreuses personnes d’accéder à l’assistance juridique ou de s’informer sur leurs droits. Le manque d’accès et la méfiance à l’égard du système judiciaire national font que la plupart des Maliens s’en remettent à la « justice coutumière » pour les affaires civiles et pénales, en particulier dans le nord du pays.12

Lire la vidéo

Un compromis entre paix et justice est-il nécessaire au Mali?

Drissa Traoré, Coordinateur national du programme conjoint de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) et de la Fédération internationale des droits humains (FIDH), revient sur les poursuites nationales des crimes internationaux au Mali. Traoré analyse les défis auxquels les institutions maliennes font face. Il revient également sur le rôle des enquêtes de la Cour pénale internationale et de leurs conséquences sur la société malienne et ses institutions judiciaires.

Citations & Références

10: Human Rights Watch (2020), « Mali Événements de 2019 ».

11: Afrobarometer (2013), « Le citoyen, l’Etat et la Corruption, résultats du round 5 des enquêtes », Afrobaromètre au Mali: Sikasso.

12: IDLO/Clingendael (2015) « Une crise de confiance, de compétence et de capacité : Conseils de programmation pour le renforcement de la chaîne pénale au Mali ».

Commentaires & Rapports

FIDH (2014) « Mali : La Justice en marche : Analyse des procédures judiciaires portant sur des graves violations des droits humains commises depuis 2012 »

Dans ce rapport, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) examine les conséquences de l’effondrement du système judiciaire dans le nord du Mali suite à l’occupation de 2012-2013. Les tribunaux régionaux manquent de juges et de personnel clé, tandis que les enquêteurs locaux manquent de capacités et de ressources. 

Abraham Bengaly (2015) « La Protection juridictionnelle des droits de l’Homme au Mali », Harmattan Mali 

L’auteur examine la responsabilité centrale des juges dans la reconstruction d’une culture de l’État de droit et des droits de l’Homme au Mali. Il souligne que les valeurs traditionnelles, favorables aux droits de l’Homme, sont importantes pour construire un système moderne d’État de droit crédible et fiable, qui reste bien adapté aux attentes et aux besoins des Maliens.

IDLO/Clingendael « A Crisis of Confidence, Competence and Capacity: Programming Advice for Strengthening Mali’s Penal Chain »

Ce rapport analyse l’organisation et l’efficacité du processus pénal au Mali, en soulignant les différents défis, tels que le manque d’indépendance judiciaire, la corruption, le manque de personnel et de ressources. Le rapport souligne qu’une intégration insuffisante entre la justice coutumière et le secteur judiciaire public a rendu la justice inaccessible à la plupart des Maliens.

Défis en matière de sécurité

Les tensions sécuritaires dans le nord ont retardé les progrès dans la reconstruction et la réforme du secteur judiciaire. En raison de l’instabilité dans la région, seul un tiers des administrateurs civils du nord et du centre du Mali ont été redéployés en 2017.13

Les enquêteurs et les magistrats craignent pour leur sécurité dans l’exercice de leurs fonctions. Les risques sécuritaires les empêchent de mener à bien des fonctions essentielles de leur travail, comme l’accès aux témoins ainsi qu’aux zones importantes pour le recueil des éléments de preuve.

Les groupes armés ou terroristes restent très présents dans la région. Les témoins, les victimes et les acteurs judiciaires sont confrontés à des menaces. Certains ont été attaqués après avoir ouvert des dossiers sensibles sur des individus affiliés à des groupes armés.14

Dans le nord du Mali, la cohabitation entre les auteurs présumés de crimes graves et les victimes de ces crimes est courante. Cette réalité, combinée à un contexte d’insécurité générale, fait que la plupart des habitants doutent de la capacité des institutions de l’État à protéger les victimes et les témoins. Trois projets de loi sur la protection des victimes ont été présentés à l’Assemblée nationale, dont une loi spécifique aux violences sexistes et sexuelles. Toutefois, à l’heure actuelle, le cadre juridique et la capacité institutionnelle à assurer la protection des victimes et des témoins restent insuffisants.15

Citations & Références

Commentaires & Rapports

FIDH (2017) « Mali : Face à la crise, faire le choix de la Justice »

Dans ce rapport, la FIDH fait le point sur l’avancée des poursuites nationales engagées par le pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme, en soulignant les défis posés par la détérioration de la situation sécuritaire.

Avocat sans frontières Canada & JUPREC (2020) « Vers un accès à la justice au Mali ? » 

Le rapport met en lumière les défis et les opportunités qui entourent l’accès à la justice au Mali. L’insécurité dans les zones touchées par le conflit a conduit à une présence très limitée du système judiciaire, aggravant ainsi le manque de confiance de la population dans le système de justice formel. 

Des procès équitables

Les tribunaux maliens s’efforcent de mener des procédures judiciaires qui respectent les normes internationales et garantissent le droit à un procès équitable et les droits des accusés. Le secteur de la justice souffre d’un manque crucial d’avocats de la défense, avec pour conséquence que de nombreux accusés ne sont pas représentés au tribunal. En 2014, il y avait 355 avocats au Mali, dont seulement 10 dans toute la région de Mopti.16 Cette région, qui compte 2 millions d’habitants, a été le théâtre d’une série de massacres intercommunautaires au cours des deux dernières années. Dans les régions touchées par la pauvreté comme Mopti, les perspectives de remédier à la pénurie d’avocats sont réduites. La plupart des Maliens n’ayant pas les moyens de payer les frais de justice, il est difficile pour les avocats de s’installer en dehors de la capitale. 

La crainte que les tribunaux maliens ne soient pas en mesure de respecter les normes de procès équitable est particulièrement pertinente dans la lutte actuelle contre le terrorisme. Dans le cadre de ses opérations anti-terroristes, l’armée malienne a adopté des tactiques qui ont un impact négatif sur le droit à un procès équitable pour les personnes accusées de terrorisme.17 Les arrestations massives et fréquentes de suspects, l’emprisonnement des terroristes accusés dans des centres de détention non réglementés et le manque de documentation sur les crimes présumés, sont autant de facteurs qui compromettent l’équité des procédures. Les groupes de défense des droits de l’Homme signalent que les audiences et les interrogatoires sont menés par les forces de sécurité sans tenir compte, ou très peu, des procédures judiciaires officielles, et que les suspects sont détenus pendant une période non réglementée avant d’être remis aux autorités judiciaires. De même, des rapports font état de tortures, d’exécutions sommaires et de traitements inhumains de terroristes présumés par les forces de sécurité.18 

Une autre préoccupation est le fait que les efforts de réforme judiciaire restent axés sur la reconstruction du système judiciaire officiel alors que l’État n’est pas la principale source de justice dans les zones rurales. À court et moyen terme, la justice coutumière est la seule option disponible pour lutter contre l’impunité, en particulier dans les régions pauvres et touchées par les conflits. La justice coutumière doit donc être renforcée, non seulement pour garantir la volonté et la capacité des dirigeants locaux de rendre des décisions équitables et crédibles, mais aussi pour lutter contre les pratiques d’exclusion et de discrimination au sein du secteur de la justice coutumière.

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Justice au Mali: le combat des victimes et de la société civile

Maître Saran Keïta Diakité, Avocate, Présidente du Réseau Paix et Sécurité des Femmes de l’Afrique de l’Ouest et Membre du Conseil National de la Transition, revient sur les efforts de justice pour les crimes internationaux au Mali. Keïta souligne l’importance du rôle des femmes, de la société civile et des groupes de victimes dans la lutte contre l’impunité au Mali.

Citations & Références

Commentaires & Rapports

Helene Cissé & Allan Ngari (2020) « Garantir un procès équitable aux présumés terroristes au Mali »présumés terroristes au Mali” , ISS

Ce rapport étudie la problématique du respect des normes internationales des droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme au Mali, notamment en ce qui concerne le droit à un procès équitable. 

Anca-Elena Ursu (2018) « Between ideals and needs : is Malian customary justice incompatible with international human rights standards? » CRU Policy Brief, Clingendael

Ce rapport examine le rôle de la justice coutumière dans le système judiciaire malien, en notant qu’elle est souvent la seule option disponible pour les Maliens dans les zones les plus touchées par le conflit. Il examine ses interactions avec le système judiciaire formel et son rôle dans la médiation des conflits civils.

Amnisties

En juin 2019, le Parlement malien adopte la loi d’entente nationale permettant aux membres des groupes armés impliqués dans les hostilités de 2012-2013 de demander l’amnistie. Cette loi est dans un premier temps retirée de l’agenda législatif en 2018 sous la pression de la société civile, pour être adoptée l’année suivante. La loi exclut explicitement les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de viols et d’autres crimes « jugés imprescriptibles » de l’éligibilité à l’amnistie. Cependant, les groupes de défense des droits de l’Homme avertissent que le texte de loi est vague et formulé de manière à permettre aux auteurs de tortures, de disparitions forcées, d’assassinats et d’autres atrocités d’échapper à la justice.19 Les groupes de défense des victimes et des droits de l’Homme affirment en outre que la procédure de demande d’amnistie telle que définie dans la loi, est trop simpliste et le délai d’approbation trop court pour permettre une véritable évaluation de la validité des déclarations des demandeurs.20

Pour les groupes de défense des droits de l’Homme, la loi d’amnistie suit la tendance du gouvernement malien qui consiste à faire passer la réconciliation avant la justice.21

En mars 2013, le ministère public engage des poursuites contre le chef du groupe terroriste Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, et 29 autres personnes impliquées dans des atrocités commises pendant leur occupation du nord. En 2014, des membres de haut rang de groupes armés sont libérés et en mai 2015, le gouvernement lève les mandats d’arrêt contre les officiers supérieurs accusés, dont Ilyad Ag Ghali. C’est l’un des nombreux exemples, depuis la crise de 2012, d’enquêtes écourtées ou de mandats d’arrêt annulés afin de faire avancer le processus de paix ou d’obtenir la libération d’otages.

Commentaires & Rapports

Janine Lespérance (2019) “Impunity, Amnesty, and Incoherence: What justice for International Crimes committed in Mali” , justiceinconflict.org

This article offers a critical analysis of Mali’s amnesty law, the so-called ‘National Accord Act. The piece warns that the law risks encouraging impunity, and appears to be influenced by high-profile perpetrators and armed groups

Avocats sans frontiers (2019) “La loi d’entente nationale : une menace pour la paix, la réconciliation et les droits des victimes au Mali” 

This report offers a detailed analysis of the June 2019 “Loi d’agence nationale” granting amnesty to perpetrators of crimes committed in the context of the 2012-2013 crisis. The author argues that the law is vague regarding which crimes are eligible for amnesty, and describes an impracticable amnesty application procedure. 

Conséquences de l’impunité

L’instabilité politique dans le pays continue de saper encore davantage les efforts déployés pour que justice soit rendue pour les crimes internationaux commis au Mali. La Commission internationale d’enquête pour le Mali, créée le 19 janvier 2018, a mené ses enquêtes sur la situation dans le pays et a soumis son rapport au conseil de sécurité de l’ONU en juin 2020. 22 Le rapport détaille la prévalence de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par divers acteurs, ainsi que l’absence de sanctions à l’encontre des auteurs, ce qui continue de renforcer la culture d’impunité qui prévaut aujourd’hui. Le rapport souligne que “au-delà des obstacles et des défis internes à la justice malienne, l’impunité au Mali, relève surtout d’un manque de volonté politique de faire de cette question une priorité.” 23

Les progrès vers la mise en œuvre du processus de paix d’Alger de 2015 sont bloqués depuis 2016 en raison de l’intensification du conflit dans la région centrale du Mali. Dans ce contexte d’impunité pour les atrocités commises contre les civils, les groupes armés 24 maintiennent leur domination dans les zones touchées par le conflit en perpétuant l’insécurité. Ainsi ces groupes empêchent l’État de protéger les civils ou de leur fournir des services publics de base, faisant de l’affiliation aux groupes armés l’unique moyen de survie dans certaines communautés.25   

La violence perpétrée par les groupes armés est aggravée et étroitement liée aux conflits locaux sur les questions d’accès et de gestion des terres et des ressources naturelles.26  En l’absence de protection de l’État contre la violence intercommunautaire, les groupes locaux d’ « autodéfense » prennent la sécurité en main, ce qui aggrave encore les cycles de violence.27 Certaines enquêtes ont été ouvertes à la suite des récents massacres dans la région centrale du pays, mais en l’absence d’un système judiciaire opérationnel et face aux menaces sécuritaires, aucune poursuite n’a été engagée.28 

Ces dynamiques ont créé un climat d’impunité qui, selon les groupes de défense des droits de l’homme, perpétue les atrocités commises contre les civils. Ils affirment que pour mettre fin aux cycles de violence, la lutte contre l’impunité doit être intensifiée.29 Il s’agit notamment de poursuivre les affaires en cours contre des membres de groupes armés, ainsi que de combler le déficit d’impunité pour les crimes commis par les forces gouvernementales, elles-mêmes impliquées dans de nombreuses et graves violations des droits de l’homme dans le cadre d’opérations antiterroristes.30  

Citations & Références

22: United Nations Security Council (19 juin 2020) Rapport de la Commission d’enquête internationale pour le Mali

23: Ibid p. 306

24: Human Rights Watch « Avant, nous étions des frères : Exactions commises par des groupes d’autodéfense dans le centre du Mali » (Décembre 2018)

25: FIDH et AMDH (2017) « Mali : Terrorisme et impunité font chanceler un accord de paix fragile ». 

26: Van Veen, E., Goff D. and Van Damme T. (2015) « Beyond dichotomy: recognizing and reconciling legal pluralism in Mali », Conflict Research Unit, Clingendael Institute.

27: Human Rights Watch « Avant, nous étions des frères : Exactions commises par des groupes d’autodéfense dans le centre du Mali » (Décembre 2018).

28: Ibid.

 

Justice pénale internationale

Priorités et défis des efforts internationaux en matière de lutte contre l’impunité au Mali

Le Procureur de la CPI affirme qu’il existe une base raisonnable pour croire que les crimes suivants ont été commis au Mali, notamment des actes de mutilation, de torture, des exécutions extrajudiciaires, des pillages, des viols et des attaques intentionnelles contre des sites ou des personnes protégés, tels que des écoles et des hôpitaux. Dans le renvoi de la situation à la CPI par le gouvernement malien en 2012, le Mali informe le Bureau du Procureur (Bureau) que son système judiciaire s’est retiré du nord, laissant ses tribunaux nationaux dans l’incapacité de poursuivre les crimes commis dans la région. Dans le cadre du principe de la complémentarité, l’enquête de la CPI est recevable : d’une part, parce que le Mali s’est déclaré incapable de poursuivre les principaux responsables et n’a aucune poursuite en cours; d’autre part, parce que les crimes internationaux poursuivis devant les tribunaux nationaux ne concernent pas « la même personne et le même comportement » que ceux sur lesquels enquête le Procureur de la CPI.

Le 18 septembre 2015, la Chambre préliminaire émet son premier mandat d’arrêt dans l’enquête malienne contre Ahmad Al-Faqi Al Mahdi, ancien chef de la brigade de moralité « Hisba » de Tombouctou. Il est accusé du crime de guerre consistant à diriger des attaques contre des bâtiments à caractère religieux et historique, dont neuf mausolées et une mosquée à Tombouctou. En juillet 2020, la CPI ouvre une deuxième affaire, accusant Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud de nombreux actes de crimes contre l’humanité, en se concentrant particulièrement sur son implication dans les cas de violences sexuelles systémiques contre les femmes et les enfants à Tombouctou, alors qu’il dirigeait les forces de police djihadistes d’occupation.31

Citations & Références

31: CPI, Chambre préliminaire I (13 novembre 2019) « Confirmation des charges portées contre Al Hassan ».

 

Justice pénale internationale

Priorités & obstacles aux efforts internationaux de lutte contre l’impunité au Mali

SUIVRE LA CHRONOLOGIE HORIZONTALE EN CLIQUANT SUR LES FLÈCHES
16 août 2000
Le Mali ratifie le Statut de Rome de la Cour pénale internationale
13 juillet 2012
Le Mali renvoie la situation à la CPI

Le gouvernement du Mali renvoie la situation sur son territoire à la CPI. Le Mali informe le Bureau du Procureur que son système judiciaire s’est retiré du nord, laissant ses tribunaux nationaux dans l'incapacité de poursuivre les crimes commis pendant le conflit et l'occupation de 2012-2013.

16 janvier 2013
Le Procureur de la CPI ouvre une enquête au Mali
10 octobre 2014
Arrestation d’Ahmed Al Faqi Al Mahdi

Al Mahdi, chef de Hesba, une structure de commandement du groupe Ansar Dine aligné sur l'AQMI, est arrêté au Niger.

18 septembre 2015
La CPI lance un mandat d'arrêt contre Al Mahdi
26 septembre 2015
Le Niger remet Al Mahdi à la CPI
30 septembre 2015
Al Mahdi comparaît devant la CPI

Al Mahdi fait sa première apparition devant un juge de la CPI, où il confirme son identité et est informé des charges retenues contre lui. La Chambre préliminaire confirme un seul chef d'accusation de crime de guerre contre Al Mahdi, l'accusant d'avoir dirigé intentionnellement des attaques contre des monuments religieux et historiques à Tombouctou, du 20 juin au 10 juillet 2012.

1er mars 2016
Al Mahdi informe la Cour qu'il prévoit de plaider coupable, créant ainsi un précédent à la CPI
22-24 août 2016
Procès d’Al Mahdi

Al Mahdi plaide coupable du crime de guerre consistant en la destruction de monuments historiques et religieux. L'accusation présente ses preuves et trois témoins sont appelés.

27 septembre 2016
Al Mahdi reconnu coupable et condamné à neuf ans de prison
17 août 2017
La Chambre de première instance de la CPI rend une ordonnance de réparation contre Al Mahdi

L’ordonnance de réparation fixe à 2,7 millions d'euros la responsabilité de M. Al Mahdi au titre des réparations individuelles et collectives à verser à la communauté de Tombouctou.

27 mars 2018
Mandat d'arrêt contre Al Hassan Ag Abdoul Aziz

Al Hassan était membre d'Ansar Eddine et chef de la police islamique pendant l'occupation de Tombouctou par des groupes armés, entre le 1er avril 2012 et le 28 janvier 2013.

31 mars 2018
Le gouvernement malien remet Al Hassan à la CPI
8-17 juillet 2019
Confirmation des accusations portées contre Al Hassan

Dans une décision confidentielle, la Chambre préliminaire I confirme les accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité portées à l’encontre d’Al Hassan. Il est accusé de « torture, viol, esclavage sexuel, autres actes inhumains ».

14-15 juillet 2020
Ouverture du procès d'Al Hassan à La Haye

Le Procureur de la CPI expose les accusations, décrivant la police islamique, ses crimes contre les habitants de Tombouctou et la menace qu'elle représente toujours pour les civils. La déclaration se concentre sur les crimes à caractère sexuel et sexiste de cette police islamique.

Complémentarité

L’affaire malienne a des implications sur le rôle les renvois par les gouvernements nationaux dans les futures enquêtes et procès de la CPI. Un renvoi signifie qu’un État partie au Statut de Rome recommande au Procureur de la CPI d’enquêter sur une situation sur son propre territoire. Les premiers architectes du Statut de Rome s’attendaient à ce que cette disposition soit rarement appliquée. Néanmoins, la plupart des situations sur lesquelles la CPI a enquêté à ce jour ont fait l’objet d’un renvoi par les gouvernements nationaux, notamment l’enquête en cours sur les crimes commis au Mali pendant et depuis l’occupation du nord par des groupes armés en 2012. 

Il est largement admis que le renvoi par un État partie peut contribuer à encourager la coopération des États aux enquêtes de la CPI, en augmentant considérablement les chances de condamnation si un accusé comparaît au procès. Les renvois comportent cependant le risque que la coopération du gouvernement, implicitement affirmée par une demande d’intervention de la CPI, soit assortie de conditions. Cette coopération pourrait, par exemple, s’avérer moins évidente ou même être un obstacle, si les enquêteurs se détournent des crimes commis par des groupes armés ou l’opposition politique, pour se concentrer plutôt sur les actions des forces de sécurité ou des fonctionnaires de l’État. En d’autres termes, il existe un risque que les renvois contribuent à ce que les procès de la CPI apparaissent unilatéraux, comme cela s’est produit par exemple en Côte d’Ivoire. En effet, la CPI n’a jamais émis de mandat d’arrêt à l’encontre de responsables du gouvernement dans aucun des États qui lui ont renvoyé une situation.

Dans le cas du Mali, le Procureur déclare que le renvoi de la situation lui confère « compétence pour connaître de tout crime grave commis sur le territoire malien à compter du mois de janvier 2012 », y compris les crimes qui auraient été commis par les forces de sécurité maliennes.32 En pratique, la mise en œuvre de cette déclaration aura des implications à la fois pour la situation malienne et pour la crédibilité du Bureau lorsqu’il enquêtera sur de futurs cas de renvois. En l’absence d’enquêtes justes et équilibrées, l’inclination apparente du Procureur à l’égard des affaires de renvoi peut être un préjudice à l’indépendance et à l’impartialité perçues de son Bureau.33

Citations & Références

32: CPI (28 janvier 2013) « Déclaration du Procureur concernant le Mali, 28 janvier 2013 ».

33: Ignaz Stegmiller (2013) « The International Criminal Court and Mali : Towards more Transparency in International Criminal Investigations », Forum sur le droit pénal.

Commentaires & Rapports

Ignaz Stegmiller (2013) « The International Criminal Court and Mali: Towards more Transparency in International Criminal Investigations », Forum sur le droit pénal

Cet article traite de la transparence dont a fait preuve le Bureau du Procureur dans sa prise de décision concernant l’affaire du Mali. L’auteur analyse les documents écrits de la CPI qui décrivent les bases de l’ouverture d’enquêtes officielles au Mali, en abordant les questions de compétence, de recevabilité et d’intérêt de la justice. Stegmiller présente les avantages ainsi que les risques d’un renvoi du gouvernement malien de la situation devant la CPI. 

Déclaration du Procureur de la CPI à occasion de l’ouverture du procés d’Amaou Sanogo (1er décember 2016) « La complémentarité est au centre du système institué par la Statut Rome »

Fatou Bensouda a fait une déclaration publique à l’ouverture du procès Sanogo, le premier procès national malien pour des crimes internationaux commis pendant le conflit 2012-2013. Elle a notamment insisté sur le fait que la CPI était prête à contribuer au renforcement de la lutte contre l’impunité au Mali. Cela reflète d’une approche de « complémentarité positive », une approche coopérative dans laquelle la CPI et les gouvernements nationaux travaillent en partenariat pour mettre fin à l’impunité.

Impact et efficacité des procès de la CPI

Al Mahdi a plaidé coupable pour les accusations de « destruction de sites culturels inestimables » à Tombouctou pendant l’occupation de la ville par des groupes armés entre 2012 et 2013. Sa condamnation a créé un précédent en qualifiant la destruction du patrimoine culturel de crime de guerre. Suite à un accord entre le procureur et l’accusé pour un plaider-coupable pour destruction des sites culturels, il n’y aura pas appel de la décision ni ouverture d’une nouvelle affaire avec des charges supplémentaires.34 Al Mahdi a coopéré avec le Procureur tout au long de la procédure.

Le Procureur a choisi cette affaire, en raison de sa valeur symbolique et de l’efficacité assurée par une condamnation rapide.35 La condamnation était probable, étant donné les preuves accablantes contre Al Mahdi et sa volonté de coopérer avec le tribunal. Dans le contexte international de guerre contre le terrorisme, la destruction de sites sacrés à Tombouctou revêtait une grande importance.36 L’UNESCO a salué cette décision importante qui répond à l’aggravation de la tendance des extrémistes à s’attaquer à la culture et au patrimoine aux cours des dernières années.

En revanche, les groupes de la société civile malienne ont critiqué le Bureau pour ne pas avoir poursuivi les principaux responsables des crimes violents contre les civils.37 Ce sentiment a été repris dans les entretiens avec les membres des communautés locales, qui ont exprimé leur déception de voir les crimes les plus graves dont ils ont été victimes et leur dignité mis de côté au profit des biens culturels.38

Citations & Références

34: Stephanie Maupas (2016) « CPI: Neuf ans de prison pour la destruction des mausolée de Tombouctou », JusticeInfo.

35: Oumar Ba (2020) « Contested Meaning : Tombouctou et la poursuite de la destruction du patrimoine culturel comme crime de guerre », Association des études africaines.

36:  Ibid.

37:  Stephanie Maupas (2016) « CPI: Neuf ans de prison pour la destruction des mausolée de Tombouctou », JusticeInfo.

38: Oumar Ba (2020) « Contested Meaning : Tombouctou et la poursuite de la destruction du patrimoine culturel comme crime de guerre », Association des études africaines.

Commentaires & Rapports

Oumar Ba (2020) « Contested Meaning: Timbuktu and the prosecution of destruction of cultural heritage as war crime », Association des études africaines

Existe-t-il une évaluation universellement partagée du patrimoine mondial ? Cet article examine les tensions entre la justice internationale et les impacts au niveau local des procédures de la CPI. Sur la base d’entretiens avec des Maliens issus de communautés touchées par le conflit, l’auteur explique que la justice dans l’affaire Al Mahdi n’a pas répondu aux besoins et aux attentes de ceux « au nom desquels la justice a été rendue ». 

Stephanie Maupas (27 septembre 2016) « CPI: Neuf ans de prison pour la destruction des mausolée de Tombouctou », JusticeInfo

Si l’UNESCO et d’autres agences internationales ont salué la condamnation d’Al Mahdi pour la destruction de sites culturels inestimables, les ONG de défense des droits de l’homme ont critiqué le caractère limité des charges retenues. 

UNESCO (décembre 2017)  « Ahmad Al Faqi Al Mahdi, I plead guilty » Courrier de l’UNESCO

Dans cet entretien avec Al Mahdi, il raconte sa vie et les choix qui ont conduit à la destruction des mausolées de Tombouctou. 

Poursuites des violences sexuelles  

Le procès d’Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud à la CPI comble une lacune importante laissée par les enquêtes au Mali. La condamnation d’Al Mahdi a une importance symbolique mais ne reflète pas toute l’étendue des graves infractions commises contre les civils maliens, en particulier les victimes de violences sexuelles. Pendant l’occupation du nord du Mali par des groupes armés, Al Hassan dirigeait la police jihadiste à Tombouctou. Sous sa surveillance, les membres des groupes armés d’occupation ont perpétré des violences sexuelles généralisées et systématiques, notamment l’esclavage sexuel, le viol collectif, le viol en guise de punition et les mariages forcés de femmes et d’enfants.39

Le procès d’Al Hassan s’ouvre en juillet 2020. Dans ce deuxième procès malien, le Bureau inclut les crimes sexuels comme un point central de l’affaire, y compris le viol, l’esclavage sexuel et les mariages forcés parmi les accusations portées. Dans sa déclaration d’ouverture, Bensouda souligne que les femmes et les filles étaient les plus visées par les graves violations commises pendant l’occupation et qu’elles ont le plus souffert des atrocités commises contre les civils. 

Al Hassan est également accusé des persécutions fondées sur le sexe. C’est la première fois qu’un tribunal international poursuit ce crime, marquant ainsi une étape importante dans le développement de la jurisprudence en matière de violences sexuelles sexistes. L’accusation va au-delà des violences sexuelles pour reconnaître que pendant l’occupation, de nombreux actes de violence et de persécution ont utilisé les normes de genre pour cibler et blesser les civils. Par exemple, les auteurs ont adopté le viol comme stratégie militaire, non seulement parce qu’il était préjudiciable aux femmes et aux filles, mais aussi parce que les normes liées au sexe rendent ce crime particulièrement dévastateur, avec un impact durable sur le statut social et le futur des victimes et de leurs familles.40

Citations & Références

Commentaires & Rapports

Geogriana Epure (16 juillet 2020)  « Writing the Jurisprudence on Gender-based Persecution: Al Hassan on Trial at the ICC » International Justice Monitor 

Epure analyse les accusations de violences sexuelles et sexistes dans le procès d’Al Hassan comme une étape importante dans le développement de la jurisprudence pour les crimes à caractère sexuel et sexistes. 

Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, à l’ouverture du procès de M. Al Hassan AgAbdoulAziz Ag Mohamed Ag Mahmoud (14 juillet 2020)

Le Procureur Bensouda décrit les charges retenues contre Al Hassan, en soulignant que les femmes étaient les principales cibles des attaques contre les civils à Tombouctou. 

Fondation Mukege (consulté en 2020) « ICC Convicts Malian rebel leader of destruction of buildings – but not of sexual violence crimes »

L’article soutient que la non-inclusion des violences sexuelles dans les accusations portées contre Al Mahdi, a entravé la justice pour les victimes et la recherche de la vérité. Étant donné que les réparations ne sont possibles que pour les victimes de crimes pour lesquels l’accusé a été condamné, lorsque les violences sexuelles ne fait pas partie des charges retenues, les victimes de violences sexuelles ne peuvent pas bénéficier de réparations ni de soutien. 

Thijs Bouwknegt (22 octobre 2020) « CPI : sortons la justice de sa mise en quarantaine » , JusticeInfo

L’article expose la tension entre la protection des témoins et la visibilité de la justice. Les Maliens ont peu d’informations sur le procès d’Al Hassan. Les menaces de sécurité sur le terrain ont poussé la CPI à l’extrême, jusqu’à tenir presque exclusivement des sessions à huis clos et à dissimuler les procédures. Jusqu’à présent, seuls des témoins européens ont comparu au procès.