Gambie

Yahya Jammeh arrive au pouvoir en 1996 suite à un coup d’État, mettant fin à vingt-trois ans de règne du président Dawda Jawara. Prometteur de développement et de réformes, le régime de Jammeh reçoit  d’abord le soutien d’une grande partie de la population qui est impatiente de voir le pays prendre une nouvelle direction. Au cours des vingt-trois ans de son règne, le régime de Jammeh devient de plus en plus autoritaire, le pouvoir étant de plus en plus concentré entre les mains du président.

En 2005, Human Rights Watch publie un rapport documentant une décennie de violations systémiques des droits de l’Homme, en particulier à l’encontre des journalistes, des figures de l’opposition et de la société civile. Des crimes moins connus mais tout aussi graves de violences sexuelles, la répression violente des communautés LGBT, ainsi que la détention et la maltraitance des personnes vivant avec le VIH font partie des violations des droits de l’Homme. En outre, ces violations visaient les Gambiens à faible revenu et vivant dans des milieux ruraux, soumettant certaines communautés au travail forcé et à la chasse aux sorcières. Jammeh a montré des signes de paranoïa croissante, ce qui l’a poussé à se retourner contre ses proches. Par conséquent, de nombreux membres de ses propres forces de sécurité figuraient parmi les personnes qui auraient été tuées ou torturées sous son régime.

Son gouvernement est également responsable de profondes injustices structurelles : alors que Jammeh et ses proches accumulent d’importantes richesses personnelles, la Gambie reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec peu d’industries, peu d’infrastructures et des capacités étatiques et services publics limités.

Jammeh s’accroche au pouvoir en modifiant à plusieurs reprises la Constitution pour servir ses intérêts et, lorsque cela n’est plus suffisant, s’ingère directement dans les élections. Malgré cela, Jammeh perd les élections présidentielles en 2017 au profit d’Adama Barrow, qui prête serment après une période d’instabilité finalement résolue par des négociations régionales et l’exil de Jammeh en Guinée équatoriale. Le gouvernement Barrow s’empresse de créer une Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC).

Bien que des procès aient été engagés contre une poignée de personnalités de l’ère Jammeh travaillant dans le domaine de la sécurité et du renseignement, le ministère de la justice décide de retarder les poursuites jusqu’à ce que la Commission vérité remplisse son mandat. Malgré le fait que le nouveau gouvernement ait pris des mesures importantes pour atteindre son objectif déclaré d’une transition démocratique radicale, au cours de ces derniers mois, les observateurs de la société civile ont mis en garde contre un retour en arrière, signalant l’interdiction de manifestations et l’emprisonnement de ceux qui critiquaient le nouveau gouvernement.1

Commentaires & Rapports

African Network against Extrajudicial Killings and Enforced Disappearances (ANEKED) (2019 & 2020) «  Truth, Reconciliation and Reparations Commission Digest  »

Résumé de toutes les audiences publiques de la Commission vérité, réconciliation et réparation, y compris les noms des auteurs cités et une liste détaillée des violations présumées des droits de l’Homme.

UNDP National Strategy Document for Transitional Justice in the Gambia (décembre 2018)

Ce document a été élaboré conjointement par la société civile, les acteurs gouvernementaux internationaux et nationaux. Il fournit des détails sur les institution de justice transitionnelle gambienne, sur les relations entre ces mécanismes, et expose les principaux objectifs et défis de la justice transitionnelle en Gambie. Des groupes de discussion représentant divers secteurs de la population ont également contribué à l’élaboration de la stratégie.    

Human Rights Watch (2015) « State of Fear : Arbitrary Arrest, Torture and Killing »

Basé sur des interviews de 2014 et 2015, ce rapport documente les violations des droits de l’Homme et la répression de l’État pendant le régime Jammeh, en particulier envers les journalistes, les étudiants, les fonctionnaires et la communauté LGBT. Le rapport donne un aperçu du rôle joué par l’Agence nationale de renseignement (NIA), les « Junglers » (la garde présidentielle), l’Unité des crimes graves et l’Unité d’intervention de la police gambienne. 

Lutte contre l’impunité au niveau national

Poursuites des crimes internationaux: priorités et obstacles aux efforts nationaux

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Juillet 1994
Novembre 1996
Juillet 2005
2009
2009
1er décembre 2016
9 décembre 2016
19 janvier 2017
19 janvier 2017
Janvier 2017
Février 2017
Mars 2017
Juin 2017
13 décembre 2017
Mai 2018
29 août 2018
28 octobre 2018
Mars 2018
Le 3 janvier 2019
7 janvier 2019
8 janvier 2019
Juillet - août 2019
Septembre 2020
11 juin 2020
Juillet 2021

Lutte contre l’impunité au niveau national

Le gouvernement gambien a reporté la poursuite des graves violations des droits de l’Homme sous le régime de Jammeh, jusqu’à ce que la Commission vérité termine ses travaux. La loi sur la TRRC confère à la Commission le pouvoir d’identifier et de recommander des poursuites contre les hauts responsables de violations des droits de l’Homme commises sous le régime précédent.  Fin 2020, la TRRC organise quinze auditions publiques, qui se sont distinguées par l’accent mis sur les témoignages des responsables de haut niveau. La Commission vérité a obtenu la coopération des fonctionnaires de l’État et des services de sécurité qui ont servi sous le régime précédent, en grande partie grâce à la loi de la TRRC qui prévoit la possibilité d’une amnistie pour les auteurs présumés qui font des aveux véridiques et complets. Bien que la loi interdise expressément l’amnistie pour les violations équivalentes à des crimes contre l’humanité et autres crimes graves, elle ne précise pas les critères d’éligibilité à l’amnistie, ni la procédure ou les règlements qui régiront l’octroi effectif de l’amnistie. Des questions subsistent également quant aux conditions dans lesquelles la Commission peut partager ses enquêtes et les déclarations recueillies auprès des témoins ou des auteurs présumés, avec les futurs enquêteurs et procureurs.2  Parmi les caractéristiques uniques de la Commission, figure sa responsabilité légale de concevoir et de mettre en œuvre un programme national de réparation pour les victimes. La Commission vérité a également choisi d’accorder des réparations provisoires aux victimes qui participent à ses enquêtes et qui ont des besoins de couvrir des frais médicaux ou autres besoins urgents. 
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Une victime et activiste témoigne devant la Commission vérité en Gambie

Toufah Jallow est une victime de violences sexuelles de la part de l’ancien président gambien Yahya Jammeh. Jallow revient sur son travail d’activiste pour obtenir justice, le rôle de la société civile et le travail de la Commission vérité en Gambie (TRRC) devant laquelle elle a témoigné.

Citations & References

1: Cristina Krippahl, Deutsche Welle (27 janvier 2020) « Gambia: We are moving from high hopes to a letdown ».

2: Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (2019) «Preliminary Observations from the Official Visit to The Gambia by the Special Rapporteur on the promotion of truth, justice, reparation and guarantees of non-recurrence, Fabián Salvioli, from 20 to 27 November 2019 ».

Volonté politique

Dans quelle mesure les responsables politiques souhaitent-ils traduire en justice les auteurs des crimes internationaux?

Les poursuites ont été reportées jusqu’à ce que la TRRC termine son mandat. L’ancien ministre de la justice, Abubacarr Tambadou, a décidé d’adopter une approche séquentielle de la justice, où les auditions de la TRRC précèdent les enquêtes et les poursuites pénales. Toutefois, neuf personnes de la direction de l’Agence nationale de renseignement (NIA) de l’ère Jammeh ont été arrêtées et traduites en justice peu après la transition. Les fonctionnaires accusés, connus sous le nom de « NIA 9 », sont poursuivis pour vingt-cinq infractions criminelles comprenant meurtres, préméditation de meurtres et agressions causant des lésions corporelles. Depuis le début du procès en 2017, le nombre d’accusés est tombé à sept, après l’acquittement de Yusupha Jammeh pour manque de preuves et le décès de Louise Gomez en garde à vue. Le processus a connu de nombreux retards et en est à sa quatrième année.

La décision de reporter la majorité des procès a été motivée en partie, par le fait que le système judiciaire avait été affaibli par des décennies de négligence et d’ingérence politique sous le régime précédent. Beaucoup de temps et de ressources seront nécessaires pour reconstruire le système judiciaire avant qu’il ne soit capable de traiter le nombre important d’affaires complexes, que pourrait entraîner la poursuite des crimes graves du gouvernement précédent. Les difficultés rencontrées lors du procès de « NIA 9 » viennent étayer cette affirmation. Dans ce contexte, la TRRC est donc indispensable pour recueillir les preuves des crimes commis par le régime précédent.

Le nombre de personnes accusées de graves violations des droits de l’Homme est relativement faible en Gambie, en particulier si l’on compare le nombre de dossiers traités dans la plupart des pays en transition après une guerre civile ou une dictature. Cela a conduit certains groupes de la société civile et de victimes à se demander s’il existe une réelle volonté politique en faveur de la justice pénale (GCVHRV 2019). Cette préoccupation est renforcée par le fait qu’aucun contrôle officiel n’a été effectué dans les rangs du gouvernement ou des forces de sécurité depuis la chute de Jammeh. Les groupes de la société civile affirment que les personnes accusées d’avoir permis des violations des droits de l’Homme restent en position de pouvoir, certaines ayant gravi les échelons du gouvernement ou de l’armée depuis la transition démocratique.4

 

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Justice pénale internationale en Afrique de l’Ouest

Roland Adjovi, Conseiller en droit international pour le Programme mondial de lutte contre la criminalité maritime en Afrique d’Ouest à l’UNODC, analyse les interactions entre les mécanismes judiciaires nationaux, régionaux et internationaux. Il revient également sur les différents instruments juridiques tels que le Protocole de Malabo, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Cour pénale internationale et les tribunaux hybrides.

Citations & References

3: Gambia Centre for Victims of Human Rights Violations (2019), « Submission of an alternative report on the country situation in The Gambia ».

4: Mustapha K. Darboe (25/02/2020), « Gambie : Finger Pointing in the Security Forces » Justiceinfo.net.

Commentaires & Rapports

Fabián Salvioli (2019)  « Preliminary Observations from the Official Visit to The Gambia by the Special Rapporteur on the promotion of truth, justice, reparation and guarantees of non-recurrence, from 20 to 27 November 2019 » Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme

Ce rapport préliminaire du Rapporteur spécial sur la justice transitionnelle, évalue les mesures adoptées par les autorités gambiennes dans le domaine de la vérité, de la justice, des réparations, de la mémoire et des garanties de non-récurrence. Dans ses remarques, le Rapporteur spécial reconnaît les progrès réalisés jusqu’à présent et félicite la Commission vérité d’avoir suscité l’attention de la population. Il exprime également son inquiétude quant à la longue attente des poursuites et des réparations pour les victimes, et à l’absence apparente de réformes institutionnelles et de contrôles officiels au sein de l’administration.

Gambia Centre for Victims of Human Rights Violations (2019) « Submission of an alternative report on the country situation in The Gambia »

L’organisation des victimes gambiennes a rédigé cette demande pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, à l’occasion de l’examen périodique universel de la Gambie. L’association exprime sa préoccupation quant au fait que, au-delà de la recherche de la vérité, les mécanismes de justice transitionnelle ont été négligés, soulignant en particulier le manque de contrôle officiel des fonctionnaires et du personnel de sécurité, l’usage excessif de la force par la police et le maintien de l’Agence nationale de renseignement (NIA). L’association exprime sa frustration face à l’absence de stratégie de poursuite, notant que les charges ont été abandonnées contre les auteurs présumés sans explication.

Fatou Jagne (28/01/2020)« New regime crackdown a chilling reminder of 22 years of repression » Article 19

Fatou Jagne exprime son inquiétude face à l’aggravation de la répression contre les manifestants et les journalistes en Gambie. Dans cet article d’opinion, elle demande une enquête immédiate sur l’usage excessif de la force lors de la manifestation du 26 janvier 2020. Elle cite la fermeture de deux stations de radio, l’arrestation de journalistes et l’interdiction du mouvement « Three Years Jotna », qualifiant ces incidents de « rappels effrayants » de la répression passée. 

Amnisties

Comment les amnisties ont-elles affecté les efforts nationaux en Gambie pour que les auteurs de crimes internationaux répondent de leurs actes ? 

Comme mentionné plus haut, la TRRC a la responsabilité de recommander l’amnistie pour les auteurs de violations des droits de l’Homme qui font des aveux sincères et qui expriment des remords pour leurs actes. La disposition légale pour ces amnisties exclut les infractions équivalentes à des crimes contre l’humanité. Bien que la décision finale d’accorder l’amnistie reste entre les mains du Président, la Commission est chargée de recommander des poursuites ou bien l’amnistie pour les auteurs présumés.

L’ancien Ministre de la justice gambien, Abubacarr Tambadou, a été le fer de lance du processus de justice transitionnelle en Gambie. Bien que le ministre ait assuré aux victimes qu’aucune amnistie ne serait accordée sans leur consentement, la Commission vérité et le Ministère de la justice n’ont pas précisé comment les auteurs de crimes pouvaient demander l’amnistie, ni comment les victimes pouvaient refuser ou approuver une proposition d’amnistie. 

En août 2019, le ministre Tambadou ordonne la libération de quatre anciens « Junglers » qui travaillaient sous le commandement direct de Jammeh. Les quatre hommes, Pa Ousman Sanneh, Malick Jatta, Omar Jallow et Amadou Bargie, sont libérés au motif qu’ils ont avoué leurs crimes en toute sincérité et exprimé des remords pour ceux-ci.

Bien que le Ministère de la justice ait souligné que cette libération n’équivalait pas à une amnistie, son action a néanmoins suscité des inquiétudes quant à la prise en compte des droits des victimes dans les décisions d’amnistie. Deux autres « Junglers », Ismaila Jammeh et Alieu Jeng, sont restés en prison, après que le ministre ait déterminé qu’ils n’avaient pas fait d’aveux honnêtes à la TRRC. En conséquence, le système judiciaire gambien doit maintenant faire face au tollé général suscité par la libération des « Junglers » qui ont témoigné, et à la légalité de maintenir d’autres personnes en prison sans procès. 

Commentaires & Rapports

Kebba Ansu Manneh (23 février 2019) « Trading Truth for TRRC Amnesty; Who’ll get off the Hook? », La Chronique

Le capitaine Bubacarr Bah a été le premier à témoigner devant la TRRC. Il a demandé le pardon et a exprimé son souhait de demander l’amnistie. Ce témoignage a été une source d’opinions divergentes dans la société gambienne. Une partie du mandat de la TRRC consiste à créer une commission d’amnistie et à recommander des poursuites, mais la TRRC est déjà en retard dans ses travaux et n’a pas encore clarifié le fonctionnement d’une procédure d’amnistie.

Mustapha Darboe (2 juin 2020)« Gambie : la vérité vous rendra libre – ou pas », JusticeInfo

Lancien Ministre de la justice semble avoir conclu un accord avec les membres emprisonnés de l’unité d’élite du président Jammeh. Les « Junglers » qui ont dit la vérité devant la TRRC ont bénéficié d’une libération temporaire. Il incombait alors au Ministre de déterminer la véracité de leurs déclarations, libérant certains d’entre eux et en retenant d’autres.

Coordination entre les mécanismes de justice transitionnelle

Les poursuites et l’octroi d’amnisties dépendront des recommandations de la Commission dans son rapport final.5 Le président Barrow a indiqué qu’il demandera l’extradition de Jammeh de la Guinée équatoriale, si la Commission recommande l’ouverture de poursuites contre lui.6 Plusieurs anciens tueurs à gages, membres des forces de sécurité de Jammeh, ont avoué devant la TRRC avoir participé à des crimes graves, notamment des actes de torture, des meurtres, des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées. Malgré l’opposition des victimes, quatre d’entre eux ont été libérés après leur témoignage, en vertu d’un arrangement entre les anciens prisonniers et le Ministère de la justice qui n’a jamais été rendu public. En expliquant cette décision, l’ancien Ministre de la justice, M. Tambadou, a indiqué que les tueurs à gages qui ont avoué leurs crimes permettront la préparation de dossiers contre d’autres auteurs, un fois que la TRRC aura terminé son travail et que le moment des poursuites sera venu.  Les procédures de la TRRC ont été largement suivies à la radio et à la télévision gambienne, suites aux révélations de détails choquants sur le passé du pays par des membres de haut rang de l’ancien régime. Ces aveux ont suscité une grande attention dans le pays et à l’étranger. Pour certaines victimes, les projecteurs ont été braqués sur des témoignages très médiatisés ainsi que sur de possibles amnisties, au détriment de la prise en compte des droits des victimes et de l’espoir que les auteurs seraient traduits en justice.7 La justice transitionnelle en Gambie a été initialement envisagée comme un processus allant au-delà des efforts de recherche de la vérité et de la justice, pour inclure une réforme institutionnelle et législative. En septembre 2020, l’Assemblée nationale rejette le projet de nouvelle constitution, ce qui suscite l’inquiétude des groupes de la société civile, qui craignent que la volonté politique de rompre avec le passé s’affaiblisse dans les plus hautes sphères du gouvernement.8  Yahya Jammeh a modifié la Constitution gambienne 50 fois au cours de sa présidence. Dès son entrée en fonction, le président Adama Barrow a indiqué que la rédaction et l’adoption d’une nouvelle constitution faisaient partie des priorités de son administration. Après des consultations nationales, la Commission de révision constitutionnelle (CRC) a présenté un projet qui a été largement soutenu par la population (Afrobaromètre 2018).9  Ce projet a cependant été rejeté par l’Assemblée nationale, avec le soutien des parlementaires proches de M. Barrow.

Citations & References

5: Human Rights Watch (2020) « Gambia: US Charges Alleged ‘Death Squad’ Member with Torture ».

6:Ruth Maclean et Saikou Jammeh (25/01/2018) « Yahya Jammeh, former leader of the Gambia, could face extradition ».The Guardian.

7: Maclean, Ruth et Saikou Jammeh (23/08/2019) « A killer is always a killer: Gambia gripped by Jungler’s testimony », The Guardian.

8: Sait Matty Jaw (2020) « Gambie: pourquoi les députés viennent d’abolir le nouveau projet de constitution populaire » Arguments africains.

9: Afrobarometer (2018) “Summary of Results: Afrobarometer Round 7, Survey in the Gambia”, Centre for Policy, Research and Strategic Studies (CEPRASS)

Commentaires & Rapports

Sait Matty Jaw (24 septembre 2020) « Gambie: pourquoi les députés viennent d’abolir le nouveau projet de constitution populaire », Arguments africains

L’adoption d’une nouvelle constitution en Gambie aurait marqué une rupture nette avec la dictature de l’ancien président Jammeh. L’enquête Afrobaromètre 2018 a révélé un fort soutien aux dispositions clés du projet de constitution, telles que la limitation du nombre de mandats présidentiels et les quotas de représentation des femmes à l’Assemblée nationale. Bien que largement soutenue par les citoyens, la Constitution n’a pas été adoptée à l’Assemblée nationale.

Sait Matty Jaw affirme que ceux qui ont voté contre étaient motivés par le désir de permettre au président Barrow de rester en fonction. L’avenir du projet de Constitution n’est pas connu. Ce qui est clair, cependant, c’est que l’élection présidentielle de 2021 en Gambie sera organisée dans le cadre de la constitution de 1997. 

Interview avec Essa Faal (20 janvier 2020) « Nous ne voulons pas que la Commission vérité soit considérée comme un tigre de papier », JusticeInfo

Cet entretien avec Essa Faal, avocat principal de la TRRC, couvre un large éventail de sujets, y compris certaines des questions les plus controversées qui sont apparues au cours de la première année de travail de la Commission. Faal discute des progrès de la TRRC et de ses impacts sur les Gambiens. Il explique également son travail de procureur dans les premières années du régime de Jammeh.

L’interview se poursuit avec des sujets plus controversés, tels que la libération des auteurs qui ont avoué leurs crimes devant la TRRC, le manque de clarté concernant les amnisties, et les accusations portées par des témoins contre le procureur de la CPI, Fatou Bensouda, lorsqu’elle était au ministère de la justice gambien.

Mustapha Darboe( 28 juin 2019) «L’ex-putschiste Touray met à l’épreuve la Commission vérité en Gambie», JusticeInfo

Yankuba Touray était l’un des dirigeants du coup d’État militaire de 1994. Lorsqu’il a été convoqué devant la TRRC, Touray a affirmé qu’il était protégé par une « immunité constitutionnelle » et s’est retiré. La TRRC a déposé une plainte pour outrage et a ordonné son arrestation. Sa revendication de l’impunité accordée par la Constitution de 1997, soulève des questions sur l’application des dispositions relatives à l’impunité dans cette Constitution. Les actions de M. Touray ont également permis de tester dans quelle mesure la TRRC peut obliger les témoins à parler. 

Human Rights Watch (4 décembre 2019) « Gambie : Révélations sur les crimes présumés de l’ex-dictateur »

Au cours de la première année de travail de la Commission, 168 témoins ont été entendus, dont des hauts fonctionnaires de l’ancien régime. La commission a recueilli des témoignages importants, notamment des aveux qui prouvent la responsabilité directe de l’ancien président pour crimes graves, dont des violences sexuelles, le meurtre de 56 migrants ouest-africains ainsi que l’empoisonnement et les mauvais traitements infligés aux villageois lors de la « chasse aux sorcières ». 

ouise Hunt (23 septembre 2019) « The Truth is not enough for Gambia’s regime victims », The New Humanitarian

La TRRC a réussi à obtenir de nombreux aveux de responsables au plus hauts niveaux. Pour certaines victimes, ces aveux ont un coût élevé : certaines ont le sentiment d’avoir été trahies lorsque les « Junglers » ont été libérés, suite à un accord entre le Ministre de la justice et les anciens détenus. De plus, le rôle central joué par le Ministère de la justice soulève des questions sur l’indépendance des acteurs de la justice transitionnelle. 

Poursuite des violences sexuelles

Les agressions et l’exploitation sexuelles faisaient partie intégrante du régime du président Jammeh. Ces violences n’ont pas été signalées, par crainte de représailles et en raison de la stigmatisation sociale à laquelle les victimes sont souvent confrontées. Depuis la transition démocratique, la société civile et les groupes de victimes ont mis au jour les preuves d’un système sophistiqué d’exploitation et d’abus sexuels sous le président Jammeh. Les victimes racontent que Jammeh a abusé de son autorité et de son contrôle sur les institutions gouvernementales, pour contraindre des jeunes femmes à entrer dans sa sphère d’influence avant de les agresser. 

Au-delà des nombreuses allégations de violences sexuelles impliquant Jammeh et ses proches collaborateurs, les violations des droits de l’Homme commises par les agences de sécurité et de l’État comprenaient également des violences sexuelles et sexistes. Lors de consultations avec des femmes en milieu rural, l’International Center for Transitional Justice (ICTJ) a constaté que la violence fondée sur le sexe était présente lors d’arrestations arbitraires, des cas de tortures, de mauvais traitements, de travail forcé et de confiscations des terres (ICTJ 2020). 

Jusqu’à présent, les voix des femmes ont été sous-représentées dans le processus de justice transitionnelle en Gambie. Les femmes ont peur de parler de leurs expériences à cause de facteurs culturels et religieux, ce qui impose aux institutions de justice transitionnelle une responsabilité supplémentaire : celle de créer des alternatives sûres, favorables et concrètes pour que les femmes puissent demander justice et réparation.

Commentaires & Rapports

Birgit Schwarz & Marion Volkmann (26 juin 2019) « Gambie : Trois femmes accusent l’ex-président de violences sexuelles », Human Rights Watch, interview

Dans cette interview, Marion Volkmann, experte en violences sexuelles et sexistes, décrit l’approche qu’elle et ses associés ont adoptée lors de l’enquête sur les crimes sexuels commis par l’ancien président Jammeh. L’interview détaille également les efforts déployés pour rendre justice à la victime et activiste, Toufah Jallow. Jallow s’est présentée dans l’espoir que son histoire puisse contribuer à briser une culture du silence, qui empêche les victimes de trouver de l’aide et perpétue les violences faites aux femmes.

Submission of rural women to TRRC (2020), ICTJ 

En travaillant avec des groupes locaux de femmes, l’ICTJ a facilité une série de dialogues où les femmes pouvaient s’informer sur la Commission vérité, parler de leurs propres expériences et faire des recommandations à la TRRC. L’initiative visait à donner aux femmes, qui ne se sentaient pas à l’aise pour témoigner publiquement, une plateforme pour être reconnues et entendues au niveau national. 

Justice pénale internationale

Une coalition d’organisations nationales et internationales de la société civile, dirigée par des victimes, se mobilise pour faire campagne en faveur de l’extradition de l’ancien président Yahya Jammeh afin qu’il soit jugé pour crimes contre l’humanité. La coalition propose plusieurs options pour poursuivre Jammeh ainsi que les principaux membres de ses services de sécurité. La première est une option régionale : obtenir l’extradition de Jammeh vers le Ghana afin qu’il soit jugé pour son rôle dans l’exécution extrajudiciaire de 56 migrants africains, dont 44 Ghanéens. La deuxième possibilité consisterait à créer un tribunal hybride en Gambie, qui serait compétent pour juger des accusations de crimes internationaux portées contre l’ancien président Jammeh. 

Pendant ce temps, deux anciens membres du tristement célèbre escadron de la mort de Jammeh, sont actuellement inculpés aux États-Unis et en Suisse, en vertu de la compétence universelle. Si ces affaires progressent, ce seront les premiers procès pour les crimes internationaux commis par des membres de l’ancien régime.

Y aura-t-il un tribunal hybride en Gambie ?

Un certain nombre d’options sont à l’étude pour traduire en justice l’ancien président Yahya Jammeh. Parmi les deux options les plus prometteuses, l’une des possibilités est d’extrader Jammeh pour qu’il soit jugé au Ghana, et l’autre impliquerait la création d’une chambre spéciale pour les crimes internationaux en Gambie. Cette dernière option serait beaucoup plus complexe, bien que peut-être plus pertinente pour les Gambiens, qui verraient la justice rendue près de chez eux. 

S’il est extradé de la Guinée équatoriale, où il est actuellement en exil, Jammeh sera très probablement jugé dans le cadre du système juridique ghanéen plutôt que devant un tribunal hybride ou internationalisé. En 2005, le président Jammeh aurait ordonné le meurtre de 56 migrants africains, dont 44 Ghanéens, soupçonnés d’être des mercenaires. En échange de leur libération, quatre anciens « Junglers » ont témoigné devant la TRRC et ont fourni des preuves cruciales montrant que Jammeh avait ordonné de nombreuses tortures et exécutions, y compris le meurtre sommaire des migrants africains. Selon la loi ghanéenne, la plupart des crimes internationaux peuvent être jugés par les tribunaux nationaux, ce qui rend théoriquement inutile la création d’un tribunal hybride doté d’une compétence spéciale pour les crimes internationaux. 

La deuxième option consisterait à créer une chambre spéciale ou un tribunal hybride en Gambie. Cette option pourrait suivre l’exemple des Chambres africaines extraordinaires, créées au sein du système juridique sénégalais et habilitées par l’Union africaine à juger des crimes internationaux commis par Hissène Habré. 

La Gambie pourrait également mettre en place un tribunal hybride similaire au Tribunal spécial pour la Sierra Leone mandaté par les Nations Unies, ou à la Cour pénale spéciale en République centrafricaine. Cette solution nécessiterait la création d’un tribunal internationalisé au sein du système judiciaire gambien, impliquant une combinaison de lois et de procédures nationales et internationales. En outre, elle nécessiterait probablement beaucoup plus de temps et de ressources financières que l’option ghanéenne. Cependant, même si un tribunal spécial en Gambie permettrait un engagement beaucoup plus étroit de la part des victimes et de la société civile, cette option pourrait conduire à des procès contre tous les principaux responsables des graves violations des droits de l’Homme, et pas seulement contre Jammeh.

Commentaires & Rapports

Franklin Oduro (5 septembre 2018) « Bringing Yahya Jammeh to Justice in Ghana », Wilson Center – Africa Up Close

Cet article détaille les premières étapes des efforts menés par les victimes pour traduire Yahya Jammeh en justice. Une coalition de victimes et d’organisations de la société civile se mobilise pour l’extradition de Jammeh vers le Ghana, où il serait accusé du meurtre de migrants africains en 2005.

Compétence universelle

Michael Sang Correa, un ancien « Jungler », a été inculpé aux États-Unis pour torture en juin 2020. C’est la première fois qu’un membre de l’appareil de sécurité de Jammeh est poursuivi pour des crimes internationaux. Les États-Unis n’ont pas de loi autorisant formellement la compétence universelle : en vertu de la loi fédérale de 1994 sur la torture extraterritoriale (18 USC 234OA), toute personne présente aux États-Unis peut être jugée pour des actes de torture, indépendamment de sa nationalité, de la nationalité de ses victimes ou du lieu où l’acte de torture a été commis.10

Ousman Sonko, un autre ancien membre de l’escadron de la mort de Jammeh et Ministre de l’intérieur sous Jammeh, est emprisonné en Suisse depuis 2017, où il est actuellement en détention préventive. Le Ministère de la justice gambien coopère avec les autorités suisses dans cette affaire en fournissant des documents et des déclarations. La TRRC s’est également révélée précieuse pour faire avancer l’enquête (TRIAL International).11 La Suisse reconnaît la compétence universelle, permettant à ses tribunaux de poursuivre les individus soupçonnés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, quelle que soit la nationalité de l’auteur ou des victimes, et quel que soit le lieu où ces crimes ont été commis.

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Justice pour les victimes au Libéria: compétence universelle

Alain Werner, Directeur de Civitas Maxima, revient sur les procès qui ont eu lieu en France, en Suisse et aux Etats-Unis pour les crimes de guerre commis au Libéria. Dans cette interview, Werner présente le travail de Civitas Maxima ainsi que les différents mécanismes judiciaires mis en œuvre pour rendre justice aux victimes. Werner souligne l’importance de ces initiatives et souhaite pouvoir voir un jour la justice rendue sur le territoire libérien. 

Citations & References

10: 18 USC 234OA

11: Trial International (19 janvier 2021) Ousman Sonko, Trial International

Commentaires & Rapports

Mustapha Darboe (7 mai 2020)  « Sonko : les dessous d’un dossier suisse, vu de la Commission vérité de Gambie », JusticeInfo

Ousman Sonko est emprisonné en Suisse où il peut être poursuivi pour des crimes graves commis sous son autorité en Gambie. La TRRC a contribué de manière significative aux enquêtes et poursuites en Suisse. Le nom de Sonko apparaît à plusieurs reprises dans des centaines de témoignages recueillis par la TRRC.

Human Rights Watch (12 juin 2020) « Gambia: US Charges Alleged ‘Death Squad’ Member of Torture », HRW

Michael Correa, membre des escadrons de la mort de Jammeh, est le premier à être jugé dans le monde. Correa est impliqué dans certains des crimes les plus notoires du gouvernement de Jammeh. L’inculpation est en partie due au travail d’une coalition de victimes et d’organisations de défense des droits de l’Homme qui ont demandé à la justice américaine d’enquêter sur les allégations de crimes internationaux commis par Correa.