Liberia

L’État du Liberia est fondé en 1822 par la Société américaine de colonisation pour y installer des esclaves d’origine africaine libérés aux États-Unis et des esclaves libérés de navires d’esclaves capturés. Le Liberia obtient son indépendance en 1847, et les descendants d’esclaves, généralement appelés « Américano-libériens », dominent la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays pendant des décennies.

En avril 1980, un autochtone, le sergent-chef Samuel Doe, du groupe ethnique Krahn, prend le contrôle de la Nation à la suite d’un coup d’état contre le gouvernement du président William Tolbert Jr. Ce dernier est publiquement exécuté, et plusieurs ministres ou proches collaborateurs connaissent un sort similaire par la suite. Samuel Doe suspend la Constitution et fonde le Conseil de rédemption du peuple (People’s Redemption Council ou « PRC ») chargé de diriger le pays. Ce Conseil s’appuie sur la promesse d’un nouveau système de gouvernance et d’égalité pour tous les Libériens. Toutefois, l’ancienne manière de gouverner reste fermement en place, alors que les allégations de corruption et de luttes intestines au sein du gouvernement de Samuel Doe s’intensifient. Alors que Samuel Doe devient de plus en plus paranoïaque et renforce le népotisme sur la base de l’appartenance ethnique et la répression politique, la désillusion grandit au sein de la population. À la suite d’une tentative de coup d’État en 1985, Samuel Doe renforce la pression sur ses ennemis réels et perçus, et en 1989, une insurrection est lancée contre son gouvernement, plongeant le Liberia dans un conflit qui va durer de nombreuses années. 

La première guerre civile au Liberia (1989 – 1996)

La première guerre civile du Liberia est l’une des guerres civiles plus sanglantes du continent, faisant plus de 150 000 victimes civiles et quelque 850 000 réfugiés1 . Le 24 décembre 1989, Charles Taylor envahit le Liberia depuis la Côte d’Ivoire avec le soutien du groupe rebelle Front patriotique national du Liberia (le National Patriotic Front of Liberia, ou « NPFL »), dans l’intention de renverser le gouvernement de Samuel Doe. Charles Taylor a entraîné les forces armées du Liberia (Armes Forces of Liberian ou « AFL ») dans une brutale campagne anti-insurrectionnelle marquée par des meurtres sans distinction de civils, des violences sexuelles et des actes de pillage. Dans une tentative visant à réprimer la violence, la Communauté économique des États d’Afrique l’Ouest (CEDEAO) met en place et envoie la Brigade de surveillance du cessez-le-feu comme force de maintien de la paix. Parallèlement à la force de maintien de la paix, la CEDEAO entame un processus diplomatique de paix visant à trouver une solution politique au conflit. En 1990, le NFPL se fragmente, et le Front patriotique national indépendant du Liberia (Independent National Patriotic Front of Liberia, ou « INFPL ») dirigé par Prince Yormie Johnson est créé 2 . Lors d’une visite au siège de la CEDEAO en septembre 1990, Samuel Doe est enlevé par le groupe rebelle INFPL et emmené à la base militaire du groupe à Caldwell, où il est torturé et tué. Alors que les combats se poursuivent, de nouveaux groupes rebelles rejoignent le conflit. Les groupes Krahn et Mandingue, souvent pris pour cibles par le NFPL, forment le Mouvement Uni pour la Démocratie et la Libération au Liberia (United Movement for Democracy and Liberation in Liberia, ou « ULIMO ») en 1991, qui se scinde en deux factions en 1994 : l’ULIMO-J (composé essentiellement de Krahn et dirigé par Roosevelt Johnson) et l’ULIMO-K (composé essentiellement de Mandingues et dirigé by Alhaji Kromah)3. Cette même année, le NPFL se scinde à nouveau et le NPFL-Conseil révolutionnaire central (NPFL-Central Revolutionary Council ) est formé. En 1995, il y a au moins huit grandes factions et beaucoup d’autres de plus petite taille 4 Pendant le conflit, de nombreux accords de paix sont négociés mais rompus par la suite. Enfin, les Accords de paix d’Abuja II, conclus en 1995 mettent un terme à la guerre civile 5 . Le 19 juillet 1997, des élections ont lieu conformément au calendrier fixé par le supplément aux accords de paix d’Abuja. Charles Taylor et son Parti patriotique national remportent une victoire écrasante, obtenant plus de 75% des votes. Bien qu’elles aient été jugées libres et transparentes, les élections se déroulent dans un climat d’intimidation, de nombreux Libériens croyant que le confit reprendrait si Charles Taylor perdait les élections. 

La deuxième guerre civile au Liberia (1999 – 2003)

En 1999, deux ans seulement après les élections, une deuxième guerre civile éclate lorsque les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Liberians United for Reconciliation and Democracy ou « LURD ») reprennent leur lutte pour le pouvoir contre le Président Taylor. En 2003, les LURD contrôlent le tiers nord du pays, alors que le Mouvement pour la Démocratie au Liberia (Movement for Democracy in Liberia ou « MODEL ») prend le tiers sud du pays. Alors que ces groupes commencent à se rapprocher de Monrovia, Charles Taylor accepte de participer à un sommet de la paix parrainé par la CEDEAO au Ghana.

Au même moment, le Bureau du Procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone rend public un acte d’accusation délivré contre Charles Taylor pour avoir apporté son aide et son concours à la commission de crimes internationaux pendant la guerre civile en Sierra Leone. Le mandat d’arrêt à l’encontre de Charles Taylor est remis aux autorités ghanéennes et transmis à Interpol. Le Ghana n’arrête pas Charles Taylor, qui est autorisé à retourner au Liberia. En dépit de la poursuite des négociations de paix, des combats intenses se poursuivent jusqu’à ce que, finalement, après avoir perdu le contrôle de la plus grande partie du pays, Charles Taylor accepte une proposition d’asile au Nigéria négociée par la CEDEAO. Il quitte la présidence du Liberia le 11 août 2003. Le Vice-Président Moses Blah remplace Charles Taylor jusqu’à la fin de son mandat, avant de remettre le pouvoir à un gouvernement de transition. 

Citations & References

1: United Nations Observer Mission in Liberia (1993-1997) https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/past/unomilFT.htm(2009) “Report of the International Commission of Inquiry mandated to establish the facts and circumstance of the events of 28 September 2009 in Guinea” (S/2009/693), December 2009

2: Prince Johnson was elected Senator of Nimba county during Liberia’s 2005.

3: Truth and Reconciliation Mission of Liberia (2009) “Final Consolidated Report” 

4: C. Tuck (2000), “Every Car or Moving Object Gone, The ECOMOG Intervention in Liberia” African Studies Quarterly 

5: United Nations Security Council (28 August 1995) “Abuja Agreement to Supplement the Cotonou and Akosombo Agreements as subsequently clarified by the Accra Agreement” 

Lutte contre l’impunité au Liberia

Poursuites des crimes internationaux: priorités et obstacles

SUIVEZ LA CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS EN CLIQUANT SUR LES FLÈCHES
Avril 1980
Samuel Doe prend le pouvoir à la suite d’un coup d’état

Le sergent-chef Samuel Doe organise un coup d’État militaire contre le Président William Tolbert Jr, qui est exécuté. Samuel Doe instaure un Conseil de rédemption du peuple et suspend la constitution. Il préside un gouvernement répressif pendant une décennie.

24 décembre 1989
Début de la première guerre civile au Libéria

Charles Taylor et ses rebelles du Front patriotique national du Libéria (National Patriotic Front of Liberia « NPFL ») formés en Libye, envahissent le Libéria depuis la Côte d'Ivoire pour tenter de renverser Samuel Doe.

 
 
 
août 1990
ECOMOG est envoyée au Liberia pour faire respecter le cessez-le-feu

La CEDEAO envoie au Libéria une Brigade de surveillance du cessez-le-feu comme force de maintien de la paix  (ECOMOG). C’est le début d’un long effort de maintien de la paix dont l’Organisation des Nations Unies prendra la relève.

 
Septembre 1990
Le Président Samuel Doe est torturé et tué

Samuel Doe est capturé et sauvagement tué par un groupe rebelle dissident du NFPL appelé Independent National Patriotic Front of Libéria (INPFL). Les combats se poursuivent entre les belligérants. 

17 août 1996
Des accords de paix mettent fin à la première guerre civile

Après la conclusion et la rupture de plusieurs accords de paix, les accords « Abuja II » mettent fin à la guerre. Ces accords prévoient un cessez-le-feu, le désarmement des combattants, des élections libres et équitables, et des sanctions en cas de non-respect de ses dispositions. 

 
19 juillet 1997
Charles Taylor remporte les élections présidentielles au Liberia

Charles Taylor obtient plus de 75% des voix. Les élections se déroulent sous la menace implicite d’une reprise des combats en cas de défaite de Charles Taylor. 

 
1999 - 2003
Deuxième guerre civile au Liberia

En 1999, des rebelles qui se présentent comme les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Liberians United for Reconciliation and Democracy, « LURD ») commencent à lancer des attaques. En 2003, les rebelles du LURD contrôlent le nord, alors que le Mouvement pour la démocratie au Liberia (Movement for Democracy in Liberia, « Model »), contrôle le sud. Les forces gouvernementales se retranchent à Monrovia. 

Juin 2003
Pourparlers de paix à Accra, Ghana, les scellés sur l’acte d’accusation contre Charles Taylor sont levés

Charles Taylor accepte de participer à des pourparlers de paix au Ghana destinés à mettre fin à la guerre civile. Alors qu’il se trouvait au Ghana, le Bureau du Procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone lève les scellés sur un acte d’accusation contenant 17 chefs d’accusation à l’encontre de Charles Taylor pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, pour son soutien présumé aux rebelles en Sierra Leone. Le Ghana refuse d’arrêter Charles Taylor, qui retourne au Liberia. 

11 août 2003
Charles Taylor accepte une proposition d’asile au Nigéria

Charles Taylor accepte de quitter la présidence et remet le pouvoir au vice-président, Moses Blah. Il quitte le Liberia pour se réfugier à Calabar, Nigéria. Mosses Blah dirige le pays jusqu’à la fin de mandat de Charles Taylor avant de remettre le pouvoir à un gouvernement intérimaire de transition.

18 août 2003
Un accord de paix est signé

Les parties au conflit signent un accord de paix global qui met fin à la deuxième guerre civile. Cet accord prévoit, entre autres, la création d’une force d’intervention chargée de superviser le cessez-le-feu, la mise en place d’une CVR et d’un gouvernement de transition de deux ans. Des élections sont prévues pour octobre 2005. 

 
 
 
Novembre 2005
Ellen Johnson Sirleaf est élue présidente du Liberia

Ellen Johnson Sirleaf est la première femme élue à la tête d’un État africain. Elle entame un programme ambitieux de reconstruction d’une nation ravagée par la guerre.  

Février 2006
La Commission vérité et réconciliation est inaugurée

La Présidente Ellen Johnson Sirleaf inaugure la CVR, qui est chargée d’enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire, parmi d’autres crimes graves commis au Libéria de janvier 1979 au 14 octobre 2003. 

 
Mars/avril 2006
Charles Taylor est arrêté et transféré au Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)

Suite aux pressions internationales, les autorités nigérianes arrêtent Charles Taylor alors qu’il tente de fuir le pays. Il est emmené en avion au Liberia avant d’être remis au TSSL, où il plaide non coupable des 11 chefs retenus dans l’acte d’accusation contre lui. Il est ensuite transféré à La Haye pour y être jugé.

 
9 janvier 2009
Le fils de Charles Taylor est condamné à 75 ans d’emprisonnement pour torture

Charles McArthur Emmanuel, alias Chuckie Taylor, est arrêté en 2006 pour fraude au passeport et accusé de torture, trafic d’armes et entente criminelle. Il est déclaré coupable en 2008 pour ces crimes commis alors qu’il commandait l’unité de lutte antiterroriste entre 1999 et 2003 au Liberia.

 
29 juin 2009
La CVR libérienne présente son rapport final

La CVR présente son rapport au parlement qui contient des recommandations visant à promouvoir la justice, la réconciliation nationale et l’apaisement. Le rapport contient entre autre une liste des personnes qui devraient être poursuivies, et une liste des personnes qui devraient être interdites d’exercer des fonctions publiques. 

 
6 février 2012
George Boley est déclaré coupable d’infractions liées à l’immigration aux États-Unis


A la suite de son arrestation le 15 janvier 2010, l’ancien président du Conseil de la paix du Libéria (Liberian Peace Council), George Boley, est déclaré coupable d’infractions liées à l’immigration aux États-Unis. C’est la première fois que l’utilisation d’enfants soldats est retenue comme motif d’expulsion des États-Unis. Il est expulsé vers le Libéria un mois plus tard. George Boley a remporté un siège au parlement libérien lors des élections de 2017. 

 
26 avril 2012 / 30 mai 2012
Charles Taylor est déclaré coupable de crimes internationaux

Le TSSL déclare Charles Taylor coupable des 11 chefs d'accusation de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et autres violations du droit international humanitaire pour avoir planifié, apporté son aide et son concours à des crimes commis par des forces rebelles en Sierra Leone. Le mois suivant, il est condamné à une peine de 50 ans d’emprisonnement qu’il purge au Royaume-Uni. Cette décision est confirmée en appel. 

 
Octobre 2013
Lancement du programme des « huttes Palava »

La Présidente Ellen Johnson Sirleaf lance le programme national basé sur le modèle des « huttes Palava », un mécanisme de résolution des conflits répandu dans les communautés rurales du Liberia, à travers lequel des membres de la communauté triés sur le volet pour leur intégrité, cherchent à résoudre les différends entre les personnes ou entre les communautés. Le programme vise à soutenir la réinsertion, la réconciliation et les réparations au niveau de la communauté.

 
17 septembre 2014
Arrestation d’une personne soupçonnée d'être commandante du NPFL par les autorités belges

Martina Johnson fait l’objet d’une enquête en Belgique pour des crimes contre l’humanité qu’elle aurait commis pendant la première guerre civile libérienne, à l’époque où elle est présumée avoir été une commandante du NPFL. 

21 avril 2017
Un marchand d’armes est condamné par contumace par une cour néerlandaise

Guus Van Kouwenhoven, un homme d’affaire néerlandais, est condamné par contumace à 19 ans d’emprisonnement par une cour d’appel des Pays-Bas pour avoir apporté son aide et son concours à la commission de crimes de guerre, violé des sanctions imposées par les Nations unies et participé à des trafics d’armes pendant la deuxième guerre civile au Libéria. Kouwenhoven s’est enfui en Afrique du Sud, où il se bat depuis contre la procédure d’extradition.

1 juin 2017
L’ex-épouse de Taylor est arrêtée au Royaume-Uni

Agnes Reeves Taylor, ex-épouse de l’ancien président Charles Taylor, est arrêtée au Royaume-Uni et accusée de torture et de complicité de torture alors qu’elle était un membre du NFPL pendant la première guerre civile libérienne. 

 
26 décembre 2017
George Weah est élu président

George Weah remporte les élections présidentielles, et pour la première fois depuis de nombreuses décennies, le pays connaît un transfert pacifique du pouvoir d’un président démocratiquement élu à un autre. Jewel Taylor, ex-épouse de Charles Taylor et colistière de George Weah, devient vice-présidente.

 

 
19 avril 2018
Un commandant de l’ULIMO-K est reconnu coupable aux États-Unis

Mohammed Jabbateh (ULIMO-K) est déclaré coupable aux États-Unis de fraude et d’infractions liées à sa demande d’asile dans le cadre d’une procédure d’immigration. Il est condamné à 30 ans de prison, peine confirmée en appel en 2020. 

23 juillet 2018
Une ONG suisse dépose plainte pour torture contre un commandant de l’ULIMO

L’ONG suisse Civitas Maxima dépose une plainte devant le parquet de Paris contre Kunti K, ancien commandant de l’ULIMO. Il est arrêté trois mois plus tard, le 4 septembre 2018.

 
Septembre 2019
George Weah demande des orientations sur la mise en œuvre du rapport de la CVR

George Weah envoie une lettre à la Législature nationale pour demander des conseils et des orientations sur toutes les mesures nécessaires (législatives et autres), à la mise en œuvre du rapport de la CVR, notamment l’établissement d’une juridiction chargée de juger les crimes économiques et les crimes de guerre. 

6 Décembre 2019
Agnes Reeves Taylor est relaxée

La Central Criminal Court du Royaume-Uni rejette toutes les charges à l’encontre d’Agnes Reeves Taylor, au motif qu’elle n’agissait pas à titre officiel au moment de la commission alléguée des crimes de torture en cause, cette condition étant requise par le Criminal Justice Act de 1988.  

12 avril 2020
Jucontee Thomas Smith Woewiyu meurt

Woewiyu meurt de Covid-19 aux États-Unis alors qu’il attend sa condamnation. Le 3 juillet 2018, une juridiction américaine l’avait déclaré coupable d’infractions liées à l’immigration dans le cadre de sa demande de naturalisation américaine. Il est accusé de fraude et fausses déclarations au sujet de son appartenance au NPFL pendant la guerre civile. 

26 Novembre 2020
Kunti Kumara sera jugé pour torture en France

Le juge d’instruction ordonne le renvoi de Kunti Kumara en procès pour des crimes de torture et des actes de barbarie. 

1 février 2021
Le procès de l’ancien porte-parole du RUF s’ouvre en Finlande

Gibril Massaquoi, ressortissant sierra-léonais et ancien informateur du TSSL, est accusé d’avoir participé à des atrocités de masse au Liberia. Il est arrêté le 10 mars 2020 en Finlande. 

18 juin 2021
Un commandant de l’ULIMO est reconnu coupable de crimes de guerre en Suisse

Alieu Kosiah, un ancien commandant de l’ULIMO, est accusé de 25 chefs d’accusation de crimes de guerre, qui auraient été commis dans le comté de Lofa, au Libéria, entre 1993 et 1996. C’est la première fois qu’un Libérien est reconnu coupable de crimes de guerre en application du principe de la compétence universelle. Il est condamné à 20 ans de prison.

juin 2021
La commission sur la justice transitionnelle

Suite à la demande d'orientation en septembre 2019, le Sénat libérien recommande au Président de mettre en place une commission sur la justice transitionnelle

15 septembre 2021
Un commandant des AFL est jugé responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité lors d’un procès civil aux Etats-Unis

Moses Thomas, un ancien colonel des forces armées du Libéria (Armed Forces of Liberia « AFL »), est jugé responsable d’actes de torture, d’exécution extrajudiciaire et de tentative d’exécution extrajudiciaire visés par la loi de protection des victimes de torture (Torture Victim Protection Act) ; et de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et traitements cruels, inhumains ou dégradants visés par la loi sur les délits civils contre les étrangers (Alien Tort Statute). Les quatre plaignants sont des survivants du massacre d’une église, commis pendant la guerre civile au Liberia le 29 juillet 1990. Moses Thomas quitte les États-Unis et retourne au Libéria en 2019. 

Lutte contre l’impunité au niveau national

L’accord de paix global d’Accra est signé par toutes les parties à la deuxième guerre civile du Liberia le 18 août 2003 6. Il prévoit la mise en place d’un gouvernement de transition de deux ans, définit une feuille de route pour les élections, et recommande la mise en place d’un certain nombre d’institutions, dont la Commission vérité et réconciliation (CVR). La CVR libérienne est mise en place deux ans après la fin du conflit et présente en 2009 son rapport final, dans lequel elle formule des recommandations concrètes pour renforcer la justice au Liberia et poursuivre les auteurs de crimes graves 7

Depuis la présentation de ce rapport, la mise en place des recommandations de la CVR est lente, suscitant des interrogations sur le manque d’une véritable volonté de s’attaquer aux crimes commis pendant les guerres civiles. Des efforts visant à engager des poursuites, soit par l’intermédiaire des juridictions nationales soit par l’intermédiaire d’une juridiction hybride, sont entravés dans le cadre du processus législatif. Le programme national basé sur le système des « huttes Palava », recommandé pour parvenir à la réconciliation, démarre très lentement. Quelques procès sont intentés contre des suspects devant des juridictions européennes et américaines en vertu du principe de la compétence universelle, pour des crimes commis pendant les guerres civiles libériennes. Alors que les victimes continuent d’attendre que justice soit rendue, de nombreuses difficultés subsistent. Le manque apparent de volonté politique d’établir un tribunal chargé de juger les crimes de guerre, l’influence et la position privilégiée de personnes qui ont joué un rôle dans les guerres civiles, le manque d’intérêt international pour la mise en place d’un nouveau tribunal hybride, le manque général de financement pour rendre justice sont parmi les nombreux obstacles qui doivent encore être surmontés au Liberia

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La justice sera t-elle rendue au Liberia ?

Hassan Bility est le directeur exécutif de Global Justice Research Project au Liberia. Il revient sur l’importance et de l’impact des procès devant les tribunaux européens/américains contre les auteurs présumés de crimes de guerre pendant les guerres civiles du Liberia. Ces procès sont le résultat d’une collaboration entre son organisation et des juridictions étrangères. Hassan Bility fait également part de ses réflexions sur certaines des étapes clés pour lutter contre l’impunité au Liberia, notamment avec la possible création d’un tribunal pénal extraordinaire pour le Liberia. Le directeur exécutif du GJRP parle également des défis auxquels il est confronté en tant que défenseur des droits de l’homme au Liberia.

 

Premiers pas vers la justice: la Commission vérité et réconciliation du Liberia 

La Commission vérité et réconciliation du Liberia (CVR) est créée par la loi sur la CVR de 2005 8. Cette loi est promulguée par l’Assemblée nationale de transition. Le mandat de la Commission est d’enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire, parmi d’autres crimes graves commis au Liberia de janvier 1979 au 14 octobre 2003. La Commission a également pour mandat de présenter le contexte, la chronologie des évènements, les violations commises, les motifs des crimes et leurs répercussions sur les victimes. La commission, composée de neuf membres, est inaugurée par la présidente Ellen Johnson Sirleaf en février 2006 et commence ses travaux le 22 juin 2006. Elle mène des campagnes de sensibilisation auprès de l’opinion publique, recueille des milliers de témoignages et tient des audiences publiques dans les 15 comtés du Liberia et auprès de la diaspora 9. La CVR présente son rapport final en 2009 et formule un grand nombre d’observations et de recommandations sur la voie à suivre pour le pays 10.

Dans ses conclusions, la Commission indique que toutes les factions ayant pris part au conflit sont responsables de la commission de violations flagrantes du droit national, du droit international pénal, du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire. Elle recommande notamment :

  • La mise en place d’une « cour pénale extraordinaire pour le Liberia » chargée de juger les personnes responsables des crimes les plus graves, 
  • La tenue d’audiences selon le modèle des « huttes Palava » pour promouvoir l’apaisement et une véritable réconciliation, 
  • Et la mise en place d’un fonds en faveur des victimes.
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Compétence universelle: conséquences et impact au Liberia des procès extra-territoriaux

Emmanuelle Marchand, Directrice adjointe et Cheffe du service juridique de Civitas Maxima, revient sur les raisons qui expliquent l’engouement actuel pour la compétence universelle. Elle rappelle que les Etats sont les premiers responsables pour la poursuite des crimes internationaux. Emmanuelle Marchand parle des conséquences et de l’impact au Liberia des procès extra-territoriaux, ainsi que des perspectives actuelles par rapport à la création d’un tribunal au Libéria, qui aurait pour mandat d’enquêter et de poursuivre les crimes internationaux.

Citations & References

8: Truth and Reconciliation Commission (30 June 2009) “TRC Mandate”

9: Human Rights Watch (2019) “Q & A Justice for Civil Wars – Era Crimes in Liberia” 

10: Truth and Reconciliation Commission (30 June 2009) “Consolidated Final Report”

Commentaires & Rapports

Truth and Reconciliation Commission of Liberia: Final Consolidated Report (TRC: 2009) 

Ce rapport contient des conclusions majeures sur les causes profondes du conflit, l’impact du conflit sur les femmes, les enfants et l’ensemble de la société libérienne, la responsabilité de la commission massive de violations flagrantes des droits de l’homme, et les violations du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme ainsi que des violations flagrantes du droit interne. Le rapport détermine et recommande des poursuites pénales pour ces violations, un programme de réparations et un forum “Palava Hut” comme nécessaires à la promotion de la paix, la justice, la sécurité, l’unité et une véritable réconciliation nationale.

Human Rights Watch “Q & A Justice for Civil Wars – Era Crimes in Liberia” (HRW: 2019) 

L’histoire du Liberia est ponctuée de périodes de profonds bouleversements sociaux soulignés par l’injustice et de graves violations des droits humains. Ces dynamiques ont en grande partie conduit à deux guerres civiles dévastatrices au cours des 30 dernières années. Ces questions-réponses traitent des abus commis au cours de ces guerres et des efforts déployés pour traduire les responsables en justice, notamment par le biais d’un projet de tribunal des crimes de guerre.

La proposition d’une cour pénale extraordinaire pour le Liberia  

Une des recommandations les plus importantes de la Commission vérité et réconciliation du Liberia (CVR) est la mise en place d’une cour pénale extraordinaire pour le Liberia, chargée de juger les auteurs présumés de crimes graves relevant du droit interne, de violations flagrantes des droits de l’homme et de violations graves du droit humanitaire commises au Liberia entre janvier 1979 et le 14 octobre 2003. Dans ses conclusions, la Commission déclare que les responsables des violations graves incluent non seulement des combattants des différents groupes armés, mais également leurs bailleurs de fonds, dirigeants, commandants et conseillers.

Les factions sont réparties en deux catégories : les auteurs les plus et les moins importants, en fonction du nombre de violations signalées contre eux par des témoins. Outre les commandants de toutes les factions belligérantes, la Commission fournit une liste de 116 criminels notoires, pour qu’ils soient jugés devant la cour pénale extraordinaire, et 58 criminels dont elle recommande qu’ils fassent l’objet de poursuites devant les juridictions nationales. Elle recommande également des sanctions publiques pour 49 autres personnes en leur qualité de bailleurs de fonds, des poursuites contre 45 personnes pour crimes économiques et des enquêtes contre 54 personnes pour leur rôle dans des crimes économiques 11.

Dans le rapport de synthèse final qu’elle remet au président et au corps législatif national en 2009, la Commission présente un projet de statut proposant les attributions, la compétence et la structure ainsi que d’autres dispositions pertinentes pour le fonctionnement de la cour pénale extraordinaire. La Commission formule également des recommandations sur la forme de la cour proposée :  une instance hybride, composée à la fois d’éléments nationaux et internationaux. D’autres recommandations concernent la nomination des juges et la désignation du procureur et du greffier. L’insertion des crimes économiques dans le mandat de la cour pénale extraordinaire est une marque de la reconnaissance du lien entre le pillage et la spoliation des ressources naturelles pendant les années de conflit 12. Malgré ce travail de préparation compréhensif et solide de la CVR, aucune juridiction chargée de juger des crimes de guerre n’a encore été établie. Plusieurs ONG libériennes continuent de mener campagne en faveur de l’établissement d’une telle cour.

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Le procès de Massaquoi en Finlande : quelles implications au Liberia et en Afrique de l’Ouest ?

Thierry Cruvellier, rédacteur en Chef de Justiceinfo.net, revient sur le procès en Finlande de l’ancien commandant rebelle sierra léonais, Gibril Massaquoi. La justice finlandaise s’est rapprochée des victimes et des communautés touchées en tenant l’essentiel du procès au Liberia, ce qui ne s’était jamais fait dans la pratique de cette compétence universelle. Thierry Cruvellier parle aussi du déclin de la justice internationale au profit des juridictions nationales. Thierry Cruvellier partage son point de vue sur le futur de la justice internationale, en prenant en compte les questions de réparation et les initiatives non-judiciaires.

Citations & References

11: Truth and Reconciliation Commission Press Release (30 June 2009) “TRC Releases Consolidated Final Report”

12:  Human Rights Watch (2019) “Q & A Justice for Civil Wars – Era Crimes in Liberia” 

Apaisement et réconciliation nationale : le système des « huttes Palava »

Une des plus grandes difficultés dans la lutte contre l’impunité au Liberia, est liée au fait que plusieurs milliers de personnes sont responsables des violations systématiques commises pendant les deux guerres civiles. Selon la CVR, poursuivre tous ces suspects à travers le système de justice pénale libérien serait une tâche quasiment impossible.

Elle recommande donc la mise en place d’un forum national basé sur le système des « huttes Palava », un mécanisme de résolution des conflits répandu dans les communautés rurales du Liberia, à travers lequel des membres de la communauté triés sur le volet pour leur intégrité, cherchent à résoudre les différends entre les personnes ou entre les communautés, tranchent des questions et rendent des décisions contraignantes 13. Les victimes ont la possibilité de se confronter aux auteurs des crimes dans ces forums, ce qui permet d’accélérer la réinsertion, la réconciliation et la réparation au niveau de la communauté. La CVR a formulé des recommandations sur la compétence, la structure, les attributions et l’autorité des forums basés sur le modèle des « huttes Palava », qui doivent être coordonnées par la Commission indépendante des droits de l’homme 14. Elle recommande qu’un peu plus de 7 000 personnes soient entendues dans le cadre de ce processus. 

Le processus « huttes Palava » est lancé par la Présidente Ellen Johnson Sirleaf en 2013 15. Un certain nombre d’audiences se déroulent selon ce modèle dans tout le pays mais la mise en œuvre reste lente 16.

Réparations et autres mesures mises en place pour les victimes

La CVR formule plusieurs recommandations au nom des victimes des conflits armés et des violations des droits de l’homme au Liberia. Reconnaissant les graves préjudices subis par les victimes, et le fait que beaucoup continuent à vivre dans la pauvreté, la CVR recommande la mise en place d’un fonds au profit des victimes. En outre, elle recommande un programme de réparation détaillé qui examine les questions d’ordre social et économique affectant les victimes telles que les difficultés liées au logement, à la santé mentale et au soutien psychosocial, en matière de prestation de services de santé et d’éducation notamment. Jusqu’à présent, aucun fonds national au profit des victimes n’a été établi. Le Sénat libérien a récemment lancé un appel à l’actuel Président George Weah, pour qu’il établisse un tel fonds.

Amnistie

La question de l’amnistie pour les crimes internationaux au Liberia reste controversée. En 2003, le gouvernement libérien de transition adopte une loi octroyant l’immunité de poursuites, tant civiles que pénales, à toutes personnes relevant de la compétence du Liberia pour des actes ou crimes commis entre 1989 et 2003 17.

Cette loi n’a pas été abrogée avant la mise en place de la CVR, qui dans son rapport de 2009 recommande fermement que, conformément aux normes internationales, aucune amnistie ne soit accordée pour les crimes graves commis au Liberia. Selon la CVR, accorder l’amnistie serait non seulement inacceptable et immoral, mais encouragerait également l’impunité 18. La question de l’amnistie continue d’être débattue à la Chambre des représentants et au Sénat libériens.

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Justice pour les victimes au Libéria: compétence universelle

Alain Werner, Directeur de Civitas Maxima, revient sur les procès qui ont eu lieu en France, en Suisse et aux Etats-Unis pour les crimes de guerre commis au Libéria. Dans cette interview, Werner présente le travail de Civitas Maxima ainsi que les différents mécanismes judiciaires mis en œuvre pour rendre justice aux victimes. Werner souligne l’importance de ces initiatives et souhaite pouvoir voir un jour la justice rendue sur le territoire libérien. 

Citations & References

13: Truth and Reconciliation Mission of Liberia (2009) “Final Consolidated Report” 

14: UNDP Liberia (2021) “Liberia’s Truth and Reconciliation Palava Hut Hearings Take Off in Rivercess County” 

15: Executive Mansion, Liberia (2013) “President Sirleaf Officially Launches Palava Hut Program”

16: Frontpage Africa Online (Nov 2020) “INCHR Commences Palava Hut Hearing for War Victims and Perpetrators in Liberia’s Worst Affected Counties” 

17: See discussion on the history of the Amnesty Act and question of its legality in Priscilla Hayner (November 2007) “Negotiating Peace in Liberia: Preserving the possibility for justice” Centre for Humanitarian Dialogue and the International Center for Transitional Justice, p. 18: 

18: Truth and Reconciliation Commission (30 June 2009) “Consolidated Final Report” p. 403

Commentaires & Rapports

Priscilla Hayner “Negotiating Peace in Liberia: Preserving the possibility for justice” (Centre for Humanitarian Dialogue and the International Center for Transitional Justice: Novembre 2007) 

Cet article est basé sur des entretiens approfondis avec de nombreuses personnes ayant participé aux pourparlers de paix libériens de 2003, qui ont abouti à la signature de l’accord de paix global signé à Accra, au Ghana, le 18 août 2003. L’objectif était d’enregistrer les dynamiques, les acteurs et les éléments qui ont déterminé comment et pourquoi bon nombre des décisions clés ont été prises et ont abouti à l’accord de paix de 2003, en mettant l’accent sur les questions de justice, de responsabilité et d’État de droit. Priscilla Hayner suit également l’évolution de la situation au cours des quatre années qui ont suivi la signature de l’accord, et fournit des indications qui pourraient être utiles dans de futurs contextes de médiation.

Paul James-Allen, Aaron Weah, and Lizzie Goodfriend “Beyond the Truth and Reconciliation Commission: Transitional Justice Options in Liberia” (ICTJ: Mai 2010)

Le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation du Libéria (CVR) offre des informations précieuses sur l’histoire mouvementée du Libéria, notamment sur les violations flagrantes des droits de l’homme commises pendant les 14 années de conflit dans le pays. Dans ce rapport, l’ICTJ passe en revue le processus de la CVR, examine son rapport final et suggère un certain nombre de mesures à mettre en place par le gouvernement, la société civile libérienne et les partenaires étrangers. Ces suggestions répondent aux opportunités présentées par le rapport de la CVR et comblent les lacunes de ses recommandations en matière de justice transitionnelle. L’ICTJ propose ces propositions comme une feuille de route générale sur les mesures à mettre en œuvre à court terme pour commencer le processus de justice transitionnelle.

Kwaku Danso “Mending Broken Relations after Civil War: The ‘Palava Hut’ and the Prospects for Lasting Peace in Liberia” (KAIPTC: Mai 2016)

Près de trois ans après le lancement officiel du programme national des huttes de Palava par la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf, cette approche communautaire de la justice et de la réconciliation n’a pas encore été mise en œuvre dans les processus de consolidation de la paix en cours au Liberia. Cette note de politique générale examine le potentiel et les défis de l’utilisation du programme des huttes Palava comme mesure de justice transitionnelle, et propose un certain nombre de recommandations politiques pertinentes. La plus importante de ces recommandations est un appel à des engagements plus étroits et plus profonds avec les gouverneurs tribaux du Liberia. 

Le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés

Le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés est une pratique répandue pendant la première et la deuxième guerre civile du Liberia, presque toutes les parties au conflit ayant recours à cette pratique. Des enfants âgés d’à peine neuf ans participent au conflit soit en combattant activement, soit comme porteurs, cuisiniers, gardes du corps etc. Les enfants sont victimes de violations flagrantes des droits de l’homme et du droit humanitaire ; beaucoup sont tués, battus, rendus orphelins, victimes de violences sexuelles et de viols, et forcés à commettre des crimes. Certains enfants sont conscrits de force ou rejoignent volontairement la lutte armée et beaucoup sont complices de la commission de crimes. La CVR a examiné la question de l’amnistie en ce qui concerne le rôle des enfants dans les conflits armés, et a conclu qu’ils ne peuvent être tenus responsables des crimes qu’ils ont commis. Une pleine protection devrait être accordée aux enfants associés à des groupes armés ou engagés dans des conflits armés. 

Volonté politique

Existe-t-il une volonté politique au Liberia pour mettre en place une cour spéciale et d’autres mécanismes judiciaires pour lutter contre l’impunité ?

Depuis la publication du rapport de la CVR en 2009, un grand nombre de ses recommandations ont suscité des controverses ou n’ont pas été prises en considération par la classe dirigeante. Plusieurs personnes citées dans le rapport pour leur rôle allégué dans les guerres civiles du Liberia jouissent d’un prestige économique et social, certaines exerçant une influence politique avec un très grand nombre de partisans. Il n’est donc pas surprenant que dans certains milieux, il n’y ait aucun désir de voir la création d’un tribunal de crimes de guerre. Cela a alimenté une campagne de désinformation contre le tribunal proposé. Certains font croire que d’anciens enfants soldats seront poursuivis en justice, ou que l’instauration d’une telle juridiction plongera le pays dans une nouvelle guerre civile 19.

S’il est vrai que les communautés de victimes et la société civile continuent de soutenir fermement l’engagement de poursuites, les deux gouvernements libériens de l’après-guerre ont eu une attitude immobiliste et ont tergiversé au sujet de la mise en place de la juridiction proposée. À cela s’ajoute le fait que les donateurs internationaux sont de moins en moins disposés à financer les instances ad hocun investissement économique important –. Les juridictions nationales du Liberia ne sont pas non plus capables de faire face aux insuffisances en matière de lutte contre l’impunité. Après des années de conflit, le système judiciaire libérien est considérablement négligé et doit être reconstruit ; pour l’heure il continue de présenter de nombreuses failles

Pendant la campagne présidentielle, Georges Weah s’est prononcé en faveur de l’instauration d’une juridiction chargée de juger les crimes de guerre. En septembre 2019, le Président Weah envoie une lettre à la Législature nationale pour demander des conseils et des orientations sur toutes les mesures nécessaires (législatives et autres), à la mise en œuvre du rapport de la CVR, notamment l’établissement d’une juridiction chargée de juger les crimes économiques et les crimes de guerre. En juin 2021, le Sénat soumet ses recommandations, dans lesquelles il demande au président d’instaurer une commission sur la justice transitionnelle. Celle-ci aurait pour mandat de déterminer les raisons pour lesquelles les recommandations de la CVR n’ont pas encore été entièrement mises en œuvre, et les effets de la loi de 2003 relative à l’amnistie. Par ailleurs, le Sénat recommande fermement la poursuite des audiences selon le modèle des « huttes Palava » et l’accélération de la mise en place d’un fonds au profit des victimes. Des militants critiquent la proposition de mise en place d’une commission sur la justice transitionnelle, y voyant une nouvelle tactique visant à retarder la mise en place d’un tribunal pour les crimes de guerre 20. Reste à voir si un tribunal, chargé d’enquêter et d’engager des poursuites contre les auteurs des crimes de guerre commis pendant les deux guerres civiles au Liberia, sera mis en place.

Commentaires & Rapports

Prof. Olympia Bekou  “Roadmap to Accountability: Overcoming Barriers to Justice” (University of Nottingham: 2021) 

Ce rapport est présenté par le professeur Bekou en partenariat avec le Global Justice and Research Project (GJRP), la principale organisation non gouvernementale libérienne travaillant sur les atrocités de masse au Liberia. La feuille de route analyse les obstacles à la lutte contre l’impunité et les moyens de les surmonter. La feuille de route comprend des actions concrètes qui visent à encourager le gouvernement libérien à redonner la priorité aux questions de justice et de responsabilité après le COVID-19, et à faire à nouveau pression pour que la résolution 2019 sur la Cour des crimes de guerre soit présentée au Parlement. 

Chernor Jalloh and Alhagi Marong Ending Impunity: “The Case for War Crimes Trials in Liberia” (African Journal of Legal Studies: 2005)

Cet article soutient que le Libéria a le devoir, en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, d’enquêter et de poursuivre les crimes graves, y compris la torture, le viol et les exécutions extrajudiciaires de civils innocents, commis dans ce pays par les parties belligérantes au cours de quatorze années de conflit brutal. Partant du principe que le Liberia a le devoir de punir les crimes graves commis sur son territoire, l’article évalue ensuite les options en matière de poursuites, en commençant par le recours éventuel aux tribunaux libériens. Les auteurs soutiennent que les tribunaux libériens sont incapables, même s’ils sont disposés à le faire, de rendre une justice crédible dans le respect des droits de l’accusé, étant donné l’effondrement des institutions judiciaires dans le Liberia post-conflit et les ressources financières, humaines et matérielles limitées. Les auteurs examinent ensuite la possibilité de recourir à des mécanismes internationaux, notamment la Cour pénale internationale, un tribunal pénal international ad hoc ou un tribunal hybride pour le Liberia. Pour diverses raisons juridiques et politiques, les auteurs concluent que toutes ces options ne sont pas viables. En guise d’alternative, ils suggèrent qu’étant donné que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a inculpé Charles Taylor en 2003, et compte tenu des liens étroits entre les conflits libérien et sierra-léonais, le Tribunal spécial serait un forum plus approprié pour engager des poursuites internationales contre les auteurs de violations flagrantes du droit humanitaire et des droits de l’homme au Liberia. 

Justice internationale

Le procès de Charles Taylor devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone

L’ancien président Charles Taylor est poursuivi en justice pour les crimes qu’il a commis pendant la guerre civile en Sierra Leone voisine, mais pas pour les atrocités qu’il aurait commises au Liberia. Le processus visant à traduire Charles Taylor devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a été semé d’embûches. À la suite de la levée des scellés sur l’acte d’accusation comportant 17 chefs d’accusation délivré contre Charles Taylor en juin 2003, celui-ci saisit le TSSL d’une requête demandant l’annulation de cet acte d’accusation. Sa requête est rejetée, ouvrant la voie à son procès.

À la suite de son élection à la tête du pays en 2005, la Présidente Ellen Johnson Sirleaf demande que le Nigeria remette Charles Taylor au TSSL pour y être jugé. Le président nigérian Obasanjo hésite dans un premier temps, mais face à la pression internationale, les autorités arrêtent Charles Taylor à proximité de la frontière avec le Cameroun, alors qu’il tente de fuir le pays. Il est emmené en avion au Liberia avant d’être remis au TSSL. La Cour pénale internationale à La Haye autorise l’utilisation de ses locaux pour le procès de Charles Taylor, afin d’éviter qu’il ne soit jugé en Afrique de l’Ouest, où le procès serait risqué et agiterait le spectre de la reprise de violences dans cette région 21.

Le 16 mars 2006, le TSSL approuve un acte d’accusation modifié contre Charles Taylor pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, réduisant de 17 à 11 le nombre de chefs d’accusation retenus contre lui. Le 26 avril 2012, la Chambre de première instance déclare Charles Taylor coupable de tous les chefs d’accusation, pour sa responsabilité liée à la planification des crimes, et pour avoir apporté son aide et son concours aux crimes commis par les forces rebelles en Sierra Leone. Le 30 mai 2012, l’ancien président libérien est condamné à 50 ans d’emprisonnement. Sa condamnation et sa peine sont confirmées en appel 22, Charles Taylor purge sa peine au Royaume-Uni 23

Citations & References

21: Human Rights Watch (2012): “Even a Big Man Must Face Justice, Lessons from the Trial of Charles Taylor”

22:   The Special Court for Sierra Leone (2013) “The Prosecutor v Charles Ghankay Taylor” Appeals Chamber 

23:  The Guardian (10 October 2013) “War criminal Charles Taylor to serve 50-year sentence in British prison”

Commentaires & Rapports

Human Rights Watch “Even a Big Man Must Face Justice, Lessons from the Trial of Charles Taylor”  (HRW: 2012) 

Le procès Taylor revêt une importance particulière pour les Africains d’Afrique de l’Ouest. En effet, c’est la première fois qu’un individu puissant, qui a dirigé un groupe armé ou exercé un pouvoir politique important,  est placé en détention et contraint de répondre de crimes internationaux présumés lors d’un procès. Ce rapport fournit une analyse de la pratique et de l’impact du procès. L’objectif principal est de tirer des leçons pour de futurs procès contre des suspects de haut niveau impliqués dans des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Advocates for Human Rights et al. “Liberia: Stakeholder Report for the United Nations Universal Periodic Review Regarding Impunity for Past Human Rights Violations” ( 3 Octobre 2019)

Dans ce rapport soumis à la 36ème session du Groupe de travail chargé de l’Examen périodique universel, une coalition d’organisations de la société civile décrit l’état des efforts de lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre commis au Liberia jusqu’en 2019. Les rédacteurs du rapport proposent des recommandations au gouvernement libérien pour assurer la mise en place d’un tribunal pour les crimes de guerre dans le pays, notamment en travaillant avec le parlement sur la législation nécessaire, l’application régulière de la loi pour des procès équitables, la composition des bancs judiciaires, entre autres dispositions. Ils demandent en outre de continuer à soutenir les affaires de compétence universelle contre les suspects et de garantir la protection des défenseurs des droits de l’homme au Liberia. Ils appellent également les partenaires internationaux et régionaux à fournir une assistance et un financement pour les programmes destinés à renforcer le système judiciaire et la justice pénale au Liberia, afin de garantir l’accès des victimes à la justice et le droit des accusés à un procès équitable.

Compétence universelle

Poursuites devant des juridictions étrangères en vertu du principe de la compétence universelle

Près de 20 ans après la fin du conflit, alors que les Libériens continuent d’attendre que justice soit rendue chez eux, les efforts de justice se poursuivent au-delà des frontières du pays. De nombreux procès pénaux sont engagés devant des juridictions étrangères en vertu du principe de la compétence universelle, qui permet aux États de juger les auteurs de crimes graves relevant du droit international, même en l’absence d’un lien de rattachement ou de territorialité avec l’infraction en cause.

L’ONG suisse Civitas Maxima et son organisation partenaire au Liberia, Global Justice and Research Project, jouent un rôle clef dans la recherche de justice devant des juridictions étrangères pour des crimes commis au Liberia pendant la guerre civile. Ces deux organisations mènent des enquêtes et recueillent des déclarations de témoins auprès de victimes libériennes, qu’elles utilisent ensuite pour constituer des dossiers devant des juridictions étrangères contre des auteurs présumés de crimes 24. Ainsi, des plaintes pénales pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été déposées contre des suspects dans plusieurs pays européens dont la France, la Belgique et la Suisse.

Certaines affaires contre des accusés libériens aux États-Unis ont été menées avec succès : c’est ainsi qu’en 2008 Chuckie Taylor, fils de Charles Taylor, est déclaré coupable de torture et d’actes connexes commis alors qu’il dirigeait l’unité de lutte antiterroriste au Liberia. Il est condamné à 75 ans d’emprisonnement en janvier 2009 pour ses crimes 25.

Mohammed Jabbateh, ancien commandant de l’ULIMO et Thomas Wowieyu ancien chef du NPFL-CRC, sont également déclarés coupables de fraude pour des infractions liées à l’immigration après avoir omis des références à leurs rôles dans la guerre civile du Liberia. Un jury déclare Mohammed Jabbateh coupable en octobre 2017 et le condamne à 30 ans d’emprisonnement en avril 2018 26. Thomas Woewiyu est déclaré coupable en juillet 2018, mais il meurt en avril 2020 avant que sa peine ne soit prononcée 27 .

En mars 2012, George Boley, actuel sénateur du comté de Grand Gedeh au Liberia et ancien président du Conseil de la paix du Liberia (Liberian Peace Council, ou « LPC »), qui a joué un rôle actif pendant la guerre civile, est expulsé par les autorités américaines pour infraction en matière d’immigration. Un juge de l’immigration a estimé qu’il était inadmissible et expulsable au motif qu’il avait recruté et utilisé des enfants soldats, ce qui constitue une violation de la loi de 2008 des États-Unis sur le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, et qu’il avait commis des exécutions extrajudiciaires au Liberia dans les années 1990 28. 

En juin 2021, la première condamnation pour crimes de guerre contre un accusé libérien, Alieu Kosiah, est confirmée par une juridiction suisse. Alieu Kosiah, qui réside en Suisse, doit répondre de 25 chefs d’accusation de crimes de guerre, dont des actes de viol, meurtre, pillage et le recrutement d’enfants soldats dans le comté de Lofa, au Liberia, entre 1993 et 1996 alors qu’il était un commandant de l’ULIMO. Il est condamné à 20 ans d’emprisonnement pour ses crimes 29.

Des affaires sont en cours contre d’autres accusés comme Martina Johnson, ancienne commandante d’artillerie du NPFL, qui doit répondre de crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Belgique pour des actes commis durant l’opération « Octopus » en 1992 30. En France, des procédures sont en cours contre l’ancien commandant de l’ULIMO, Kunti K. – accusé de torture, d’utilisation d’enfants soldats et de meurtre commis entre 1993 et 1997 31.

En 2022, les juges finlandais acquittent le Sierra-Léonais Gibril Massaquoi, ancien commandant du Front révolutionnaire uni (RUF) accusé de crimes de guerre commis pendant la deuxième guerre civile libérienne. Gibril Massaquoi a bénéficié d’une immunité devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour sa coopération dans l’affaire concernant des membres de l’ancien groupe rebelle, le Conseil révolutionnaire des Forces armées (Armed Forces Revolutionary Council ou « AFRC ») et obtient ensuite l’asile en Finlande. Toutefois, il ne bénéficie pas d’une immunité pour les crimes commis au Liberia : il est arrêté en Finlande en 2020 pour crimes de guerre, notamment pour meurtre, viol et violations aggravées des droits de l’homme. Son procès s’ouvre le 1er février 2021 en Finlande, une partie du procès se déroulant au Liberia 32.

L’accusé est libéré par le tribunal finlandais en février 2022 avant d’être acquitté le 29 avril 2022. Cette affaire est une première car c’est la première fois que le tribunal se rend sur les lieux où les crimes auraient été commis au Libéria, permettant ainsi aux Libériens de “voir la justice être rendue”. Suite à l’acquittement de l’accusé et la possibilité qu’il obtienne une compensation pour le temps passé en détention, l’affaire est fortement critiquée pour ses manquements, notamment des enquêtes bâclées, des témoignages douteux et des inexactitudes historiques 33

Citations & References

Commentaires & Rapports

Civitas Maxima “Annual Report 2020” (Civitas Maxima: 2021)    

Le rapport annuel analyse les efforts de l’organisation pour mener des affaires selon le principe de la compétence universelle. Il met en lumière quelques cas clefs de suspects impliqués dans  les guerres civiles libériennes.

Trial International “Universal Jurisdiction Annual Review 2020 — Terrorism and international crimes: prosecuting atrocities for what they are” (Trial International: 2020)

Depuis 2014, Trial International recueille des données complètes sur les enquêtes et les procès en cours qui relèvent de la compétence universelle. Leurs recherches de 2019 révèlent une augmentation de 40% du nombre de cas de compétence universelle mondiale par rapport à l’année précédente. On dénombre 16 condamnations dans 16 pays différents, ainsi que 146 accusations de crimes contre l’humanité, 21 accusations de génocide et 141 accusations de crimes de guerre. Un certain nombre d’affaires concernant le Libéria mais poursuivies à l’étranger sont mises en évidence dans le rapport.