Compétence universelle
Poursuites devant des juridictions étrangères en vertu du principe de la compétence universelle
Près de 20 ans après la fin du conflit, alors que les Libériens continuent d’attendre que justice soit rendue chez eux, les efforts de justice se poursuivent au-delà des frontières du pays. De nombreux procès pénaux sont engagés devant des juridictions étrangères en vertu du principe de la compétence universelle, qui permet aux États de juger les auteurs de crimes graves relevant du droit international, même en l’absence d’un lien de rattachement ou de territorialité avec l’infraction en cause.
L’ONG suisse Civitas Maxima et son organisation partenaire au Liberia, Global Justice and Research Project, jouent un rôle clef dans la recherche de justice devant des juridictions étrangères pour des crimes commis au Liberia pendant la guerre civile. Ces deux organisations mènent des enquêtes et recueillent des déclarations de témoins auprès de victimes libériennes, qu’elles utilisent ensuite pour constituer des dossiers devant des juridictions étrangères contre des auteurs présumés de crimes 24. Ainsi, des plaintes pénales pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été déposées contre des suspects dans plusieurs pays européens dont la France, la Belgique et la Suisse.
Certaines affaires contre des accusés libériens aux États-Unis ont été menées avec succès : c’est ainsi qu’en 2008 Chuckie Taylor, fils de Charles Taylor, est déclaré coupable de torture et d’actes connexes commis alors qu’il dirigeait l’unité de lutte antiterroriste au Liberia. Il est condamné à 75 ans d’emprisonnement en janvier 2009 pour ses crimes 25.
Mohammed Jabbateh, ancien commandant de l’ULIMO et Thomas Wowieyu ancien chef du NPFL-CRC, sont également déclarés coupables de fraude pour des infractions liées à l’immigration après avoir omis des références à leurs rôles dans la guerre civile du Liberia. Un jury déclare Mohammed Jabbateh coupable en octobre 2017 et le condamne à 30 ans d’emprisonnement en avril 2018 26. Thomas Woewiyu est déclaré coupable en juillet 2018, mais il meurt en avril 2020 avant que sa peine ne soit prononcée 27 .
En mars 2012, George Boley, actuel sénateur du comté de Grand Gedeh au Liberia et ancien président du Conseil de la paix du Liberia (Liberian Peace Council, ou « LPC »), qui a joué un rôle actif pendant la guerre civile, est expulsé par les autorités américaines pour infraction en matière d’immigration. Un juge de l’immigration a estimé qu’il était inadmissible et expulsable au motif qu’il avait recruté et utilisé des enfants soldats, ce qui constitue une violation de la loi de 2008 des États-Unis sur le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, et qu’il avait commis des exécutions extrajudiciaires au Liberia dans les années 1990 28.
En juin 2021, la première condamnation pour crimes de guerre contre un accusé libérien, Alieu Kosiah, est confirmée par une juridiction suisse. Alieu Kosiah, qui réside en Suisse, doit répondre de 25 chefs d’accusation de crimes de guerre, dont des actes de viol, meurtre, pillage et le recrutement d’enfants soldats dans le comté de Lofa, au Liberia, entre 1993 et 1996 alors qu’il était un commandant de l’ULIMO. Il est condamné à 20 ans d’emprisonnement pour ses crimes 29.
Des affaires sont en cours contre d’autres accusés comme Martina Johnson, ancienne commandante d’artillerie du NPFL, qui doit répondre de crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Belgique pour des actes commis durant l’opération « Octopus » en 1992 30. En France, des procédures sont en cours contre l’ancien commandant de l’ULIMO, Kunti K. – accusé de torture, d’utilisation d’enfants soldats et de meurtre commis entre 1993 et 1997 31.
En 2022, les juges finlandais acquittent le Sierra-Léonais Gibril Massaquoi, ancien commandant du Front révolutionnaire uni (RUF) accusé de crimes de guerre commis pendant la deuxième guerre civile libérienne. Gibril Massaquoi a bénéficié d’une immunité devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour sa coopération dans l’affaire concernant des membres de l’ancien groupe rebelle, le Conseil révolutionnaire des Forces armées (Armed Forces Revolutionary Council ou « AFRC ») et obtient ensuite l’asile en Finlande. Toutefois, il ne bénéficie pas d’une immunité pour les crimes commis au Liberia : il est arrêté en Finlande en 2020 pour crimes de guerre, notamment pour meurtre, viol et violations aggravées des droits de l’homme. Son procès s’ouvre le 1er février 2021 en Finlande, une partie du procès se déroulant au Liberia 32.
L’accusé est libéré par le tribunal finlandais en février 2022 avant d’être acquitté le 29 avril 2022. Cette affaire est une première car c’est la première fois que le tribunal se rend sur les lieux où les crimes auraient été commis au Libéria, permettant ainsi aux Libériens de “voir la justice être rendue”. Suite à l’acquittement de l’accusé et la possibilité qu’il obtienne une compensation pour le temps passé en détention, l’affaire est fortement critiquée pour ses manquements, notamment des enquêtes bâclées, des témoignages douteux et des inexactitudes historiques 33.